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La Tour Eiffel, les exigences d’une grande dame

La Tour Eiffel règne sur Paris depuis plus de 120 ans[CC/Niki-Photography]

Depuis plus de 120 ans, la tour Eiffel trône comme une reine au milieu de la capitale française. Surnommée «La grande dame» par son constructeur, elle est aujourd’hui le monument payant le plus visité au monde, avec sept millions d’entrées par an. Visite guidée dans les coulisses.

 

(ARCHIVES)

 

A la fin du XIXe siècle, un grand concours est lancé dans le Journal officiel. Le pari est «d’étudier la possibilité d’élever sur le Champ- de-Mars une tour de fer à base carrée de 125 mètres de côté, et de 300 mètres de hauteur». Plus de cent projets sont étudiés, mais c’est celui de Gustave Eiffel qui est sélectionné.

 

Prouesses de génie      

Né à Dijon en 1832, Gustave Eiffel est un ingénieur de génie. Diplômé de l’Ecole centrale des arts et manufactures en 1855, le Dijonnais Gustave Eiffel a rapidement fait de la construction métallique sa spécialité. Après avoir multiplié les projets pour les chemins de fer, son entreprise se lance dans des aventures artistiques.

C’est lui qui construit le viaduc Maria Pia au Portugal (1876), le viaduc de Garabit (1880) et l’observatoire de Nice et sa grande coupole (1884. C’est à lui que l’on doit également la conception de la structure de la statue de la Liberté pour Bartholdi. Puis dans la course effrénée aux grandes hauteurs, que se livrent Européens et Américains, Eiffel prend une longueur d’avance grâce à un employé qui dépose un brevet révolutionnaire. Après le lui avoir racheté, il propose son projet de tour au maire de Barcelone, qui le trouve trop risqué et onéreux pour la Catalogne.

Initialement, le projet de construction de la tour Eiffel au Champ-de-Mars est appelé «tour de 300 mètres».  Les travaux débutent en 1887 pour s’achever en 1889, date de l’ouverture de l’Exposition universelle.

 

Commencé en janvier 1887, le chantier de «La tour de 300 mètres» avance à une vitesse extraordinaire. Cinq mois après les fondations, les quatre piliers, situés aux quatre points cardinaux, sont montés et la jonction est établie le 7 décembre 1887. De fait, les échafaudages deviennent inutiles pour la suite de la construction. Tout se fait désormais à partir du premier étage [DR]

 

Culminant à 115 mètres de hauteur, le deuxième étage de la tour est terminé en septembre 1888. Peu après avoir achevé cette partie, les ouvriers cessent le travail pour réclamer une augmentation de salaire, eu égard aux risques encourus. Devant cette fronde et voyant que le chantier prend du retard, Gustave Eiffel leur concède une augmentation mais refuse de l’indexer sur la «hauteur des travaux». En effet, il reste encore le troisième étage à construire et la date de livraison approche à grands pas [DR]

 

Malgré des conditions climatiques peu favorables, les ouvriers achèvent le troisième étage en décembre 1888. D’une superficie de 250 m2, il se trouve à 275 mètres d’altitude. Dès le début, l’accès au troisième étage se fait exclusivement par ascenseur. L’histoire raconte que Gustave Eiffel y installa ses bureaux avant de déménager dans le bunker situé sous le Champ-de-Mars [DR]

 

Polémiques     

A l’instar d’autres monuments de la capitale, le projet d’Eiffel suscite la polémique. De nombreuses personnalités s’indignent de voir cette structure dénaturer le paysage de Paris. Joris-Karl Huysmans, auteur d’À Rebours, disait de la Grande Dame que c’était « un tuyau d'usine en construction, une carcasse qui attend d'être remplie par des pierres de taille ou des briques, ce grillage infundibuliforme, ce suppositoire criblé de trous ».

Gustave Eiffel défend bec et ongles son projet scientifique de la Tour. «Observatoire, laboratoire, poste de communication, météorologie», l’ingénieur utilise les meilleurs arguments pour éviter en outre de voir son œuvre détruite après l’exposition, comme cela était prévu à l’origine. Deux ans, deux mois et cinq jours de travaux plus tard, il s’installe un bureau au troisième étage pour y faire des expériences.

Cette prouesse architecturale – à l’époque l’idée d’une tour de 300 mètres de haut n’avait jamais été mise en pratique –, sera son dernier succès avant qu’un fiasco ne ternisse sa fin de carrière. Engagé dans la construction du canal de Panamá avec Ferdinand de Lesseps, Gustave Eiffel est éclaboussé dans le scandale qui éclate en 1893. Sa réhabilitation arrivera trop tard pour sa carrière d’entrepreneur. Il la délaissera au profit de celle de savant – consacrée à des expériences sur le vent –, jusqu’à sa mort le 27 décembre 1923.

 

La tour à vendre         

Difficile à croire et pourtant, en 1925, un homme, Victor Lustig, a réussi à vendre la tour Eiffel en pièces détachées à un ferrailleur. L’histoire est simple. Au début des années 1920, l’escroc lit dans la presse que la tour Eiffel pourrait être démolie. Sans attendre, Lustig et un compère rencontré à New York fabriquent de faux documents à l’en-tête du Ministère des Postes et Télégraphes, responsable de la Tour à l’époque, pour convoquer les cinq plus grandes compagnies récupératrices de métaux ferreux pour procéder à de fausses négociations. Les deux hommes ont annoncé au plus offrant qu’il avait remporté le marché. Le «gagnant» fit un gros chèque mais ne vit jamais les pièces de ferrailles arriver ! Victor Lustig s’enfuit en Autriche, puis retenta l’expérience avec d’autres ferrailleurs. Mais surveillés de près par la police, les deux hommes s’enfuirent à New York.

 

Vidéo : dans Dangereusement Vôtre, James Bond pourchasse Grace Jones dans les escaliers Tour Eiffel

 

 

Indispensable peinture

En 2006, la mairie de Paris, propriétaire de la tour Eiffel, a mandaté la Sete (Société d’exploitation de la tour Eiffel) pour conduire les plans de modernisation du monument. Au premier rang, on trouve le rafraîchissement de la peinture. Gustave Eiffel lui-même avait indiqué en 1900 que «la peinture est l’élément essentiel de la conservation d’un ouvrage métallique et que les soins qui y sont apportés sont la seule garantie de sa durée».

Grâce à cet adage, le temps n’a pas eu de prise sur la Tour, puisque tous les cinq ans (du premier étage au sommet) et tous les dix ans (du sol au premier étage), une grande campagne de peinture est organisée. A chaque campagne, environ vingt-cinq peintres sont mobilisés pour appliquer 60 tonnes de peinture sur les 200 000 m2 de surface à entretenir.

La couleur, «brun tour Eiffel», n’a pas changé depuis plusieurs décennies. Elle se décline en trois tons, du plus foncé en bas au plus clair vers le sommet, «le tout pour garder son aspect élancé», explique-t-on à la Sete. La dernière campagne de peinture a été réalisée en 2001 – à cette époque, la Tour était repeinte tous les sept ans – et a coûté près de trois millions d’euros. Autre défi d’envergure pour l’équipe gestionnaire de la tour Eiffel : l’entretien des ascenseurs.

 

Vestiges du 19e siècle

Les ascenseurs existent depuis 1889. Véritables prouesses techniques, ceux des piliers ouest et est demandent un entretien très particulier car leur mécanisme n’a pas changé. A celui de 1899 s’est seulement ajouté celui de 1986, qui a modernisé le système. Au total, le parcours cumulé des ascenseurs par an représente deux fois et demie le tour de la Terre. Dans les couloirs sous les piliers se déploie une incroyable mécanique. Pour les deux plus anciens ascenseurs, les accumulateurs se mêlent aux pistons, groupes électrogènes et aux cabines des transformateurs. Yves Camaret, directeur technique depuis cinq ans, précise que les couleurs sont d’origine. Ainsi le jaune, le bleu et le rouge se côtoient «comme dans la marine mais avec un peu moins de signification», indique cet ancien sous-marinier.

 

Le « Bunker » 

Plus loin, à deux cents mètres de la tour Eiffel, sous le Champ-de-Mars, se cache un véritable bunker. Désormais transformée en local pour les entreprises travaillant sur la Tour – on y trouve par exemple la cave du restaurant Jules Verne –, cette forteresse fut pendant longtemps le local de Gustave Eiffel, dans lequel il faisait des expériences, notamment en matière de téléphonie sans fil, dès 1915. Enfin, cet endroit fut un studio de télévision utilisable en cas de crise, jusqu’à l’arrivée de Jacques Chirac au pouvoir, en 1995. La proximité de l’antenne de la tour Eiffel aurait en effet permis au Président en poste d’annoncer les mesures à prendre en cas de problème grave. Heureusement, personne n’en a jamais eu l’utilité.

Plus de 120 ans après sa construction, la Tour Eiffel est comme neuve. Le travail organisé par la Sete permet de conserver ce monument dans toute son authenticité. Difficile de croire qu’après sa construction en 1889, pour l’Exposition universelle, elle devait disparaître du paysage. Le symbole de Paris doit sa survie tant à son immense succès touristique qu’aux soins et à l’entretien minutieux prodigués depuis le XIXe siècle. Il est désormais loin le temps où l’on envisageait la destruction de la tour Eiffel : elle est à présent totalement intégrée au paysage de la capitale. Gustave Eiffel s’amuserait sans doute à voir sa statue au pied de la tour Eiffel, lui qui avait donné son accord pour la détruire, mais qui fit tout pour la garder.

 

Vidéo : Rapidement devenue le symbole de Paris, la Tour Eiffel est régulièrement filmée dans les comédies musicales se déroulant à Paris. Dans Drôle de Frimousse, Audrey Hepburn et Fred Astaire se retrouvent au 1er étage de la Tour Eiffel.

 

 

Ils ont chanté la tour Eiffel

Comme beaucoup de lieux mythiques, la tour Eiffel a maintes fois été citée dans des chansons. En 1937, c’est Charles Trenet qui l’entonne dans Y’a de la joie avec ces quelques mots : «Y a d’la joie la tour Eiffel part en balade/Comme une folle elle saute la Seine à pieds joints». En 1968, Jacques Dutronc évoque la tour Eiffel dans Il est 5 heures Paris s’éveille avec «La tour Eiffel a froid aux pieds/L’Arc de Triomphe est ranimé». Plus tard, en 1996, c’est Arthur H qui la mentionne dans La tour Eiffel sidérale avec «J’attends que la tour Eiffel décolle/ Que fait donc posée sur ses pieds/ Cette belle fusée qui s’ennuie...». Enfin, plus récemment, c’est Renan Luce dans Camelote qui la suggère avec «Pour voir une tour Eiffel sous une neige imbécile/Elle alliait le pas beau au franchement inutile».

 

Les héros de la tour Eiffel : ils n’ont pas eu peur de «la grande dame»

En novembre 1905, le journal Le Sport organise le premier championnat de montée des escaliers. Au total, 277 concurrents participent à l’événement. Le gagnant, qui atteint le deuxième étage en moins de quatre minutes, se voit offrir un vélo !

L’animal le plus spectaculaire à avoir gravi les marches de la Tour est un éléphant en mai 1948. A 85 ans, le plus vieux pensionnaire du cirque Bouglione, une femelle, accompagnée de M. Bouglione en personne, accède au premier étage de la tour. Epuisé, l’animal n’ira pas au-delà. En mars 1964, les deux grands alpinistes Guido Magnone et René Desmaison escaladent le monument à mains nues. L’événement est tel qu’il sera retransmis par l’Eurovision pour les 75 ans de la tour Eiffel.

En octobre 1983, Charles Coutard monte et descend les escaliers de la tour Eiffel avec la première moto trial de fabrication française. En avril 1984, Amanda Tucker et Mike MacCarthy, deux Anglais adeptes de sensations fortes, sautent du troisième étage. Ils avaient dissimulé leurs parachutes dans des sacs à dos. Ils atterrissent sans difficultés sur le Champ-de-Mars après quarante-cinq secondes de bonheur ! En août 1989, alors que la tour Eiffel fête ses 100 ans, le funambule Philippe Petit réalise un exploit. Il relie grâce à un fil l’esplanade du Trocadéro et le deuxième étage de l’édifice. Pari gagné pour cette aventure longue de 760 mètres !

 

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