Plus de 300 artistes du Bolchoï ont lancé un appel mardi au président Vladimir Poutine, réclamant une enquête impartiale sur l'attaque à l'acide commise contre leur directeur artistique et dénonçant l'inculpation selon eux précipitée d'un des solistes du théâtre.
"Nous demandons aux dirigeants du pays de créer une commission indépendante pour établir les causes qui ont entraîné cette tragédie", ont écrit les artistes dans une lettre au chef de l'Etat, également adressée au gouvernement.
"Pour ceux qui connaissent Pavel Dmitritchenko, l'idée qu'il puisse être l'instigateur et le commanditaire du crime semble absurde", assurent les signataires.
Le danseur soliste Pavel Dmitritchenko, 29 ans, a été placé jeudi en détention provisoire à Moscou et inculpé après avoir reconnu avoir été le commanditaire de l'attaque contre le directeur artistique Sergueï Filine, agressé à l'acide le 17 janvier en bas de son immeuble. Il risque jusqu'à douze ans de prison.
"Nous connaissons Pavel depuis plusieurs années, il a un tempérament vif, il est franc et direct, mais c'est une personne bonne et très honnête", affirment les signataires, estimant que les "différends de fond concernant la politique artistique et la gestion du personnel n'avaient pu sortir du cadre légal".
"Les conclusions tirées par les enquêteurs nous semblent précipitées, les preuves non convaincantes et les aveux de Pavel, sur lesquels il est depuis revenu, sont le résultat des dures pressions qu'il a subies", affirment les signataires.
Les télévisions russes ont diffusé mercredi les aveux de Pavel Dmitritchenko filmés par la police, dans lesquels il déclare avoir "organisé l'attaque, sans avoir voulu aller aussi loin".
Devant le tribunal jeudi, le danseur a nié avoir voulu utiliser de l'acide.
"Malheureusement, l'histoire de notre pays connaît beaucoup d'exemples de résultats +nécessaires+ obtenus par des méthodes illégales, et de preuves qui se sont avérées fausses", ajoutent les artistes du Bolchoï.
"Nous demandons une enquête honnête et impartiale et un examen minutieux de toutes les circonstances et des mobiles possibles du crime", poursuivent les signataires, parmi lesquels figurent des danseurs, des chanteurs et des musiciens.
Le danseur étoile Nikolaï Tsiskaridzé, qui a été presque ouvertement accusé par le directeur du Bolchoï Anatoli Iksanov d'avoir poussé au crime contre Sergueï Filine, a notamment signé cette lettre.
M. Iksanov a soutenu mardi les membres de la troupe en déclarant devant les journalistes que Pavel Dmitritchenko n'avait pas pu "commanditer ce crime grave".
Il a indiqué qu'il allait demander aux enquêteurs d'examiner les évènements qui ont précédé l'agression, à savoir le piratage de la messagerie et du compte Facebook de Sergueï Filine ou le fait que ses téléphones professionnels avaient été bloqués.
"Ces éléments prouvent que quelqu'un d'autre pourrait être le commanditaire", a ajouté M. Iksanov.
Répondant aux critiques du Bolchoï, le ministère de l'Intérieur a défendu ses enquêteurs. "Ce sont des professionnels qui travaillent dans la police et ils font leur travail de manière honnête", a-t-il déclaré.
L'avocat du soliste a pour sa part souligné qu'il voulait que les chefs d'accusation contre son client soient "requalifiés".
"Ni lui (Dmitritchenko, ndlr), ni moi-même ne sommes d'accord avec les chefs d'inculpation", a souligné l'avocat Alexandre Barkanov, cité par l'agence de presse Interfax.
L'avocate de Sergueï Filine a en revanche dénoncé une campagne pour faire pression sur les enquêteurs.
"Je ne comprends pas la position du théâtre", a déclaré Tatiana Stoukalova, citée par Interfax, soulignant que cette situation était "avantageuse pour celui ou ceux qui voulaient couvrir Dmitritchenko pour qu'il ne les dénonce pas".
Sergueï Filine qui suit actuellement des traitements en Allemagne a pour sa part déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision Rossia que M. Dmitritchenko faisait "partie d'un cercle restreint de personnes éprouvant de l'inimitié et se permettant des menaces" à son égard.
"Il me semble que quelqu'un le poussait" à se comporter de cette manière, a déclaré M. Filine, qui portait des lunettes noires et une écharpe couvrant une partie de son visage.
Brûlé au troisième degré, Sergueï Filine a subi une greffe de la peau et plusieurs interventions aux yeux, la cornée ayant été atteinte.