Un panneau inédit de Fra Angelico, précieusement conservé dans le sud de la France au sein d'une même famille depuis le milieu du XIXe siècle, et qui n'a a été attribué au célèbre moine florentin qu'en 2005, est vendu samedi après-midi aux enchères à Marseille.
"Il s'agit d'une vente vraiment exceptionnelle, c'est la première fois qu'une oeuvre de Fra Angelico est vendue en France", a expliqué à l'AFP le commissaire-priseur marseillais chargé de la vente, Damien Leclère, qui évoque un "tableau unique, merveilleux, très riche".
Selon la volonté des propriétaires, il n'a jamais été prêté, malgré toutes les demandes adressées à la famille, et ce alors que Fra Angelico (1400-1455), précurseur en terme de perspective, de représentation des paysages et des personnages, a toujours été un peintre "très aimé et emportant l'adhésion de tous".
L'oeuvre, qui a obtenu son bon de sortie du territoire car elle n'a pas été classée "trésor national" selon M. Leclère, a été estimée entre 200.000 à 400.000 euros, une évaluation volontairement basse.
De grands musées français se sont montrés intéressés et il est "envisageable" que l'un d'eux se décide à le préempter au dernier moment si les enchères n'atteignent pas des sommes excessives, a-t-il précisé.
Ce panneau, identifié par Michel Laclotte, grand spécialiste de la peinture italienne des XIVe et XVe siècles et ancien directeur du Louvre, est la pièce centrale d'une Thébaïde en six éléments, une composition sans doute morcelée à la fin du XVIIIe avant d'être vendue par petits bouts.
Jusqu'à présent, seuls quatre panneaux conservés dans différents musées, entourant cette composition centrale et représentant des saints, avaient été reconnus comme étant de la main du frère dominicain. Le sixième tableau reste quant à lui introuvable.
Provenant peut-être du couvent des pères Camaldules, Santa Maria degli Angeli de Florence, selon M. Laclotte, auteur en 2005 d'une étude intitulée "Autour de Fra Angelico: deux puzzles" à l'occasion d'un colloque sur la peinture florentine, le panneau, mesurant 27,5 x 38,5 cm, dépeint des scènes de la vie des premiers pères dans le désert.
"Il s'agit d'une invitation à une sorte de retour aux sources, vers les origines, vers ces pères qui vivaient dans le désert de Thèbes (Egypte) aux premières heures du christianisme", explique Damien Leclère.
Poésie dans la composition, sens infini du détail, souci des personnages, couleurs vives... Le tableau, daté vers 1430, est de toute beauté. On y voit des moines en prière, au potager, ainsi qu'une scène allégorique, en bas à droite, dite des "trois morts et des trois vifs" - des cavaliers regardant des cadavres dans leurs cercueils - qui "souligne la vanité des hommes", selon M. Leclère.
Ce tableau "renouvelle l'iconographie de la Thébaïde en s'inscrivant à la fois dans les innovations picturales de la première Renaissance florentine et dans le mouvement de renouveau des ordres religieux et monastiques du début du XVe siècle", selon l'étude Leclère.
Thème relativement populaire dans la Toscane des débuts de la Renaissance, les Thébaïdes, qui occupaient des places de choix dans les salles communes des monastères, avaient pour fonction d'illustrer la vie érémitique, d'encourager les vocations et de promouvoir la vie monacale.