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Philippe Delerm : "Dans un atome de vie, il y a toute la vie"

Philippe Delerm Philippe Delerm, sort "Je vais passer pour un vieux con" (Seuil)[BALTEL/SIPA]

Alors que les étales des librairies croulent sous les romans de la rentrée littéraire, l’inclassable Philippe Delerm sort Je vais passer pour un vieux con (Seuil), recueil de courts textes fidèles à ceux qui ont fait sa renommée.

 

Comment définiriez-vous ce genre de recueil ?

J’avais travaillé sur un recueil autour de petites phrases entendues qui s’appelait « Ma grand mère avait les même » et je ne pensais pas avoir envie d’en refaire un. Mais je me suis rendu compte que le texte court est une façon privilégiée de plonger dans l’univers des autres.

En l’occurrence, c’est à la fois l’univers des autres et le mien, puisque 80 % des ces phrases j’ai pu les prononcer moi-même, y compris « Je vais passer pour un vieux con », devenue le titre pour son  côté amusant, provocant et un peu dangereux évidemment. A 61 ans avec 45 livres derrière moi, je peux prendre ce genre de risque. Nous avons jugé que cette phrase collait bien au ton du recueil qui est assez humoristique, un peu plus caustique que ce que j’ai fait auparavant.

 

Avez-vous voulu casser  votre image d’écrivain du bonheur?

Ce n’est pas délibéré. La démarche est la même que dans mes autres recueils : ce qui me plait dans le texte court est l’idée que dans un atome de vie, il y a toute la vie. C’est davantage cette idée qui définit ma façon de faire plutôt que l’idée de plaisir ou de bonheur. Ces petites phrases anodines montrent bien le jeu social, la manière dont les autres vivent. Il me plaît de débusquer un certain état d’esprit à travers des formules, un peu à la manière de Labruyère avec ses fameux Caractères.

Par exemple, le texte intitulé « Ils l’avaient dit », phrase prononcée souvent à propos de la météo maussade, relève bien de notre époque où les gens sont extrêmement obéissants parce qu’ils subissent tout, ils n’ont pas le choix. Ça m’est venu naturellement d’être plus caustique. Par exemple, j’ai eu du plaisir à épingler certains avec le texte « Comment il l’a cassé » : dans certains médias, beaucoup de gens sont payés pour épingler les autres, pour tirer sur les ambulances. Du coup, j’ai eu simplement envie d’être méchant avec la méchanceté.  

 

La forme est-elle aussi importante que le fond chez vous ?

En tant que prof (Philippe Delerm a été longtemps professeur de lettres, ndlr), j’ai toujours dit à mes élèves que l’on devait reconnaître un écrivain sur une page. La forme courte permet d’autant plus cela. On reconnaît tout de suite la plume de Colette dans ses textes courts. La forme est pour moi éminemment importante. Je déplore que cela ne soit pas plus présent dans la critique en général.

 

Qu’est ce que permet le texte court que ne permet pas le roman ?

Le texte court est plus ambitieux finalement : même si le sujet traité est minime, en quelques lignes, je tente de dire tout à son propos. Je ne suis pas très romancier mais j’aime les romans et je souhaiterais arriver un jour à écrire un roman qui me satisfasse complètement.

 

Vous n’êtes pas satisfaits de vos romans ?

Pas complètement. Cela dit, je ne suis pas non plus totalement satisfait des textes courts…Certains textes de La Première gorgée de bière sont géniaux mais, sans fausse modestie, il y en a d’autres que je trouve plutôt faibles.

 

Cette année, La Première gorgée de bière fête ses quinze ans. Etes vous lassé que les gens vous parle de ce livre?

Pas du tout ! La première gorgée de bière a changé ma vie. J’ai passé dix ans à chercher un éditeur puis quinze ans à publier dans la plus grande intimité. Puis d’un coup, a été publié cet Ovni littéraire qui doit son succès à l’un des premiers bouche à oreille presque intégraux. Il y a bien sûr eu des émissions pour parler du phénomène mais très peu de l’œuvre finalement.

 

Vous semblez agacé par les médias et la critique littéraire…

Je l’ai été par un certain type de médias. Lorsque le succès de La Première gorgée de bière s’est installé, certains s’en sont irrités, d’autant plus que je suis plutôt un garçon poli, loin de la figure du poète maudit, ça n’a donc pas plu au petit milieu germano-pratin. Il faut dire que je ne faisais pas partie du milieu parisien, que je ne connaissais personne. J’ai été blessé car je jugeais qu’il existe un effort d’écriture dans mes textes, que j’avais peaufinés pendant bien longtemps seul dans mon coin.

En parallèle, je remarque l’énorme privilège d’être exposé dans les médias. Je connais tellement de gens talentueux qui ne parviennent pas à publier leurs livres. J’ai connu pendant bien longtemps le silence et je préfère de loin ne pas être apprécié. D’ailleurs ma spasmophilie s’en porte beaucoup mieux !

Que l’on me parle toujours de La Première gorgée de bière quinze ans après sa parution ne m’ennuie pas. Je pense souvent à André d’Hôtel… Les gens ne connaissent cet auteur que pour son roman Le Pays où l’on n’arrive jamais, alors qu’il a écrit près de 70 autres livres tout aussi bons. Mais il est devenu ce livre et je me plais à penser que finalement pour un écrivain, c’est pas mal d’être devenu un livre. Etre une Première gorgée de bière est simplement un peu moins bien qu’être un Pays où l’on n’arrive jamais.

 

Le livre

«Attention, l’assiette est très chaude», «Quand on est dedans, elle est bonne», « Les mots sont dérisoires »...Nombreuses sont les petites phrases du quotidien que Philippe Delerm aime à décortiquer pour en sortir l’essence même de nos rapports sociaux, de notre comédie humaine. Plus piquant et emporté que ses précédents recueils de textes courts, Je vais passer pour un vieux con garde néanmoins l’inimitable petite musique de l’auteur de La première gorgée de bière.

Je vais passer pour un vieux con, Philippe Delerm, Seuil, 144 p., 14,50€.

 

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