La Tate Modern de Londres consacre à l'artiste britannique Damien Hirst, "enfant chéri" du marché de l'art, sa première grande rétrospective dans un musée, pendant la période phare des jeux Olympiques, au moment même où sa cote montre des signes de faiblesse.
Plus de 70 oeuvres de l'artiste sont exposées du 4 avril au 9 septembre, dont le célèbre requin dans du formol (The Physical Impossiblity of Death in the Mind of Someone Living), plusieurs tableaux de sa série "Spot paintings", qui alignent dans un ordre impeccable des ronds de couleur, une impressionnante rangée d'armoires à pharmacie et des gélules de médicament.
"Le visiteur qui ne connaît pas son travail sera peut-être surpris par certaines oeuvres", admet la commissaire de l'exposition Ann Gallagher.
"Le sujet de son oeuvre, c'est la vie et la réalité, et au terme de la vie vient la mort", explique-t-elle. "Il est très intéressé par les systèmes de valeurs auxquels nous avons recours dans cette brève période qu'est notre vie: la science, la religion, l'art, la richesse".
Vie et mort sont à l'état brut dans "Un millier d'années" (A Thousand Years"), une vitrine où des millions de mouches volent à côté d'un crâne de vache ensanglanté.
Plus poétique, les papillons qui évoluent autour de pots de fleurs dans une ambiance de serre montrent la fragilité de l'existence.
Et l'armoire à pharmacie exposant cliniquement des dizaines de mégots de cigarettes semble rappeler que nous brûlons la vie par les deux bouts.
Quant à la richesse, et à sa vanité, quel meilleur exemple que le fameux crâne de platine serti de 8.601 diamants, exposé dans le vaste hall des machines de la Tate Modern dans une pièce noire, comme un bijou dans un écrin.
Est-ce de l'art? Après l'artiste britannique David Hockney, qui a critiqué le recours de Hirst à des armées d'assistants pour exécuter ses oeuvres, un ancien directeur de galerie, Julian Spalding, jette un pavé dans la mare avec son livre "Con Art : Pourquoi vous devriez vendre vos Damien Hirst tant qu'il est encore temps".
L'auteur, adversaire déclaré du "conceptual art", juge que la "bulle est en train d'exploser comme celle autour des subprimes" dans le secteur financier.
Le professeur d'art de Hirst, Michael Craig-Martin, reconnaît "l'instinct de Hirst pour les relations publiques" mais défend la génération des "Young British Artist", nés dans la foulée de l'exposition-choc de 1988, la "Freeze", sur les docks de Londres.
"C'était frais, excitant, cela annonçait l'arrivée d'une nouvelle génération prête à s'imposer sans attendre un carton d'invitation", explique-t-il dans le journal The Independent.
Les "Young British Artists" ont décollé sur le marché de l'art dans les années 2000. Mi-septembre 2008, Damien Hirst vendait d'un coup chez Sotheby's plus de 220 oeuvres --dont un emblématique "Veau d'or"-- pour 200 millions de dollars alors que la banque américaine Lehman Brothers venait de faire faillite.
En rachetant ses propres oeuvres, Hirst contribue à faire monter sa cote, font valoir ses critiques.
De fait, le crâne "For the love of God" ("Pour l'amour de Dieu") a été acheté par un consortium dont fait partie Damien Hirst lui-même.
Selon la société Artprice, sa cote a faibli en 2009 et 2010, et il a été relégué à la 98ème place du classement des artistes mondiaux. L'hebdomadaire The Economist cite pour sa part la société artnet, selon laquelle Hirst se situerait loin derrière Gerhard Richter (récemment exposé par la Tate Modern) ou le Chinois Zeng Fanzhi.
Art ou marché? Ann Gallagher fait confiance aux visiteurs pour juger par eux-mêmes "plutôt que de prêter foi aux rumeurs et aux ragots".