Multiple championne nationale, continentale et mondiale, Djihène Abdellilah est parvenue à se faire une place dans des sports relativement masculins malgré le sexisme. Mais également une lourde pathologie : l'endométriose. Portrait d'une véritable force de la nature.
Elle a beau avoir un agenda très chargé avec ses multiples activités, Djihène Abdellilah ne rechigne pas à prendre le temps de caler un rendez-vous pour répondre aux interrogations. Et pas question pour elle de bâcler les interviews. Au contraire, elle s'assure que son interlocuteur a bien tous les éléments avant de partir. Rien d'étonnant pour celle qui donne également des cours à la Sorbonne. Car pour cette native de Bourgogne, la transmission est importante, encore plus lorsqu'il s'agit des thèmes qui la touchent et qui la suivent depuis très longtemps.
Comme l’endométriose qu’elle a découvert à 18 ans lorsque son médecin lui annonce qu’il sera compliqué pour elle d’avoir des enfants. L’endométriose, maladie encore peu connue du grand public, touche 10% des femmes en France. Il s’agit d’une pathologie gynécologique inflammatoire qui provoque des douleurs chroniques en période de règles. «C’est une douleur abominable, confie-t-elle. C’est comme si quelqu’un était à l’intérieur de vous et mettait des coups de couteau au ventre ou à la tête. J’ai eu des blessures dans ma carrière de sportive mais l’endométriose, c’est pire que tout.»
Malgré cette pathologie, Djihène Abdellilah, 40 ans aujourd’hui, a réussi à se faire un incroyable palmarès. Après douze titres nationaux, européens et internationaux en MMA, en boxe française et en grappling, elle est devenue championne du monde en 2015 de cette dernière discipline (lutte au sol).
On m'a fait vivre l'enfer en équipe de France
Il faut dire que la Dijonnaise est une force de la nature, physiquement et mentalement. Son parcours sportif commence à 5 ans, quand ses parents l’inscrivent au club de gym de sa petite ville. Sans exceller, elle y atteint un bon niveau et passe ses premiers diplômes de coaching à 16 ans.
La jeune femme sent assez rapidement que la gymnastique n’est pas sa vocation : Djihene Abdellilah a une force explosive, elle est faite pour les sports de puissance. Adolescente, elle se met à l’athlétisme avec une affection particulière pour le lancer de javelot. Il faut très peu de temps à la jeune athlète comme à son entourage pour se rendre compte de ses compétences physiques exceptionnelles. «La première fois que j’ai lancé le javelot, j’ai battu un record départemental», explique-t-elle. Après quelques années d’excellents résultats, elle va connaître un nouveau gros coup dur avec une blessure à l’épaule. Dans l’obligation d’être opérée, avec une autre très mauvaise nouvelle à la clé.
«Lors de mon opération, les médecins m’ont clairement dit : ‘ton physique n’est pas fait pour le haut niveau, tu ne pourras plus jamais en faire’. A ce moment-là, c’est une véritable gifle. Pendant huit ans, je n’ai pas réussi à bouger mon bras.» Mais pas de quoi arrêter celle qui a profité de son «temps libre imposé» pour passer son CAPES et devenir prof de sport. «J’ai réussi à créer des programmes pour faire ma propre rééducation physique. J’ai aussi rencontré un super kiné qui a fait un travail de précision. Tout ça a marché : 8 ans après, j’ai fini par retrouver mes capacités de mouvement.»
Et alors qu’elle commence son enseignement, Djihène va découvrir le MMA la trentaine passée. Après seulement un an d’entraînement, ses entraîneurs décident de la lancer dans le grand bain des compétitions. Malheureusement, sa catégorie de poids n’existe pas. «Pour les femmes, il y a peu de catégorie de poids à + de 70 kg dans les sports de combat», critique-t-elle. Avec ses entraîneurs, elle choisit donc d’aller dans le grappling. Elle s’entraîne et remporte rapidement des titres nationaux et se qualifie pour les championnats d’Europe, jusqu’à ce titre mondial en 2015.
Un sacre qui vient récompenser tout le travail fourni depuis tant d’années, mais aussi et surtout son abnégation. Même si malheureusement, en équipe de France, la championne connaîtra des problèmes. «C’est là que j’ai subi les pires remarques… Là-bas, j’étais la femme pénible car je voulais que les femmes soient traitées comme les hommes, se remémore Djihène. On m’a fait vivre l’enfer. Certains athlètes ont fait des vidéos où ils se moquaient de moi et les ont publiées sur les réseaux sociaux. Ils sont devenus coachs et sont désormais très respectés dans le milieu. Je me faisais insulter par les athlètes de l’équipe. On a essayé de me virer.» Un témoignage lourd qui permet de mettre en lumières les problèmes de sexisme dans certains sports, certaines disciplines.
Aujourd’hui, Djihène, qui est également consultante pour l’émission Time Sport, donne des cours aux femmes (plus d'informations sur son Instagram Djihene-academy). Elle est également marraine de l’association Endomind et ambassadrice de l’Endorun, une course qui aura lieu en novembre pour récolter des fonds dans la recherche sur la maladie. Et elle compte bien continuer ses combats pour faire réellement avancer les choses.