Remplaçant de Jérémie Beyou sur le Vendée Globe 2020, le skipper professionnel Christopher Pratt, aussi entrepreneur chez Marsail, ne participe pas cette année à la reine des courses au large en solitaire. Il n’en demeure pas moins un observateur averti et livre chaque semaine à CNEWS son éclairage sur le déroulé sur ce tour du monde à la voile qui s'annonce historique.
La météo
Nous entrons dans le money time, le groupe de tête a quitté la zone de convergence intertropicale, le fameux Pot-au-Noir, et va traverser aujourd’hui ou demain, le dernier passage à niveau de ce Vendée Globe : l’anticyclone des Açores. Ce dernier, actuellement situé dans une position très Sud – ce qui est assez classique en hiver – pourrait avoir un impact prépondérant sur le classement final.
Ce week-end, nous commencerons à avoir une vision beaucoup plus claire des chances de victoire et de podium de nos protagonistes. Ils seront alors, au large de l’archipel des Açores. À cinq jours de l’arrivée aux Sables, ils s’apprêteront à affronter leurs dernières tempêtes : les tempêtes de l’hémisphère nord. Il ne faut pas sous-estimer ces phénomènes météo, qui balaient le golfe de Gascogne. Elles sont tout aussi violentes et dangereuses que celles du grand sud. La différence majeure, c’est qu’ici, les concurrents naviguent dans des zones maritimes fréquentées et à portée des secours aéroportés.
Ces dernières heures de navigation seront particulièrement intenses puisque les skippers seront encore 5 ou 6 à pouvoir jouer la victoire finale (en prenant en compte les bonifications). Il faudra trouver le bon dosage pour arriver en un seul morceau et parvenir à aller un peu plus vite que ses petits camarades dans l’emballage final.
Le classement
Burton semble être dans une position idéale. Il est sorti en tête du Pot-au-Noir, et depuis il parvient à maintenir des moyennes élevées sur une route plus ouest que ces adversaires. S’il n’est pas en tête au classement, il l’est virtuellement, car sa position au regard de la météo à venir est favorable. Il devrait tirer les bénéfices de son option en fin de journée. Puis, dans un positionnement plus au nord que ces concurrents, il bénéficierait pendant quelques jours de vents plus favorables que ses poursuivants. Par ailleurs, il semble disposer d’un bateau proche de son plein potentiel, ce qui n’est pas le cas de Charlie Dalin et Thomas Ruyant, ses principaux adversaires pour la victoire finale. Son bateau et lui-même sont efficaces dans la brise. Ils l’ont montré dans le grand sud. S’il négocie bien ses trajectoires dans la dorsale anticyclonique, puis dans les dépressions au large du golfe de Gascogne et que son IMOCA tient le coup, il l’emportera… Reste à ce que tout cela se déroule comme prévu… Ce Vendée Globe nous a prouvé que c’était rarement le cas ! Pour Dalin et Ruyant, leur handicap de foil bâbord va les poursuivre jusqu’à l’arrivée, ou presque. En effet, les marins vont naviguer en tribord amure (avec le vent venant de la droite) quasiment jusqu’à la fin de la course, et donc en appui sur cet appendice diminué.
L’autre prétendant très sérieux à la victoire est Boris Herrmann. Au-delà de sa position très proche de Ruyant, il dispose d’un bateau à 100% de son potentiel avec des grands foils (même carène que Burton mais avec des foils génération 2020) et d’une bonification de 6 heures. Cela le place dans de très bonnes disposition pour sécuriser une place sur le podium, voire mieux ! Derrière, cela sera difficile pour Bestaven, malgré ses 10 heures de bonifications. Ce dernier a dévoilé cette semaine que son IMOCA avait été victime d’avaries importantes lors de son passage du Cap Horn. Il ne peut plus, depuis cette grosse tempête, utiliser ses grandes voiles d’avant, ce qui ralentit fortement sa progression.
Pour ce qui est des trois bateaux à dérives (Le Cam, Seguin, Dutreux), ils ont souffert lors des derniers jours de navigation dans l’Alizé et semblent ne plus être à portée de tir pour la victoire finale. Des rebondissements ou casses matérielles de derrière minute pourraient cependant permettre au roi Jean, et ses 15 heures de bonifications, d’accrocher un podium qui ravirait tous ses fans.
Ce que j'ai aimé : Louis Burton
Difficile de passer à côté cette semaine. Louis fait un Vendée Globe époustouflant. Personne n’avait misé sur lui pour la victoire finale. Pourtant, il avait prouvé, il y a quatre ans, en terminant à une honorable septième place, que cette course lui convenait, qu’il était un battant et un bon marin.
S’il avait fait l’acquisition du bateau vainqueur à peine son tour du monde bouclé, depuis lors, il avait enchaîné les contre-performances, en double avec deux transats Jacques Vabre moyennes, et en solitaire avec son abandon sur la Route du Rhum. Par ailleurs, son budget limité semblait ne pas lui permettre de naviguer assez pour prendre la mesure de cette nouvelle machine ni de lui apporter tout le soin dont elle avait besoin.
Ce manque de moyens a d’ailleurs failli provoquer son abandon à plusieurs reprises lors de ce Vendée Globe. Les avaries en cascade qu’il a connues (problèmes de pilote automatique, de hook, voiles déchirées, etc.) n’ont pas eu raison de ce dur au mal ! Il y a fait face à chaque fois avec résilience et abnégation. Il a fait parler son côté Mac Gyver, a dompté sa trouille de monter au mât au large des îles Macquarie. Ensuite, il a navigué à sa manière, simplement, avec agressivité presque. En mettant toujours un peu plus de toile que ses camarades, en allant un peu plus au sud dans les mers australes, en ayant peut-être un peu moins peur de casser, de perdre, de se blesser… Il me semble clair qu’il mérite amplement sa position de leader et cette chance inouïe qu’il a d’être en passe de remporter la première grande course de sa carrière, la plus grande qui soit. Remporter le Vendée Globe, dix ans tout juste après son entrée dans le monde de la course au large, serait une belle reconnaissance.
Ce que je n'ai pas aimé : vers une arrivée à huis clos
Après l’annonce par les organisateurs d’une arrivée à huit-clos, il ne fait désormais plus mystère que l’arrivée des concurrents ne ressemblera en rien à celle des années précédentes… Il n’y aura pas de skippers en larmes acclamés par une foule admirative le long des digues des Sables, pas de liesses populaires sur le podium, pas de fiestas incroyables. Difficile de se plaindre pour autant, notre sport semblant « parfait » en ces temps de crise sanitaire où les stades sont fermés. Notre terrain de jeu ne peut pas être fermé ! Et puis, après tout, qui mieux que nos skippers du Vendée Globe a respecté les mesures barrières lors de ces trois derniers mois ?