De récentes recherches tendent à questionner l'hypothèse privilégiée ces dernières décennies pour mener la recherche sur Alzheimer. Les causes premières de la maladie pourraient être différentes.
Se trompe-t-on sur Alzheimer depuis des décennies ? La principale théorie concernant le fonctionnement de cette maladie, dite de «cascade amyloïde», est de plus en plus fréquemment remise en cause dans les études. Ce, alors même qu'elle sert de base à l'essentiel des recherches depuis une vingtaine d'années.
A l'heure actuelle, les causes et mécanismes précis de la maladie d'Alzheimer restent encore mystérieux, bien qu'il s'agisse de la démence la plus connue et la plus fréquente.
L'une des certitudes de la science à propos de cette pathologie réside dans le fait que les malades présentent systématiquement des plaques de protéines, dites amyloïdes, qui se forment autour des neurones et les détruisent à terme.
L'hypothèse de la cascade, privilégiée ces dernières décennies, part du principe que la maladie découle de la formation de ces plaques. Mais, une trentaine d'années après la formulation de cette théorie par le biologiste britannique John Hardy, de plus en plus de scientifiques se demandent s'il ne s'agit pas d'une conséquence d'Alzheimer parmi d'autres, plutôt que d'une cause primaire.
Une étude bat en brèche les recherches en cours
Une étude publiée ce jeudi 2 juin dans la revue Nature Neuroscience constitue le dernier travail en date à remettre en cause le rôle premier des plaques amyloïdes. Elle laisse penser que le processus de la maladie démarrerait à l'intérieur des neurones et non à l'extérieur.
Les chercheurs ont étudié des souris génétiquement modifiées pour induire un équivalent d'Alzheimer. Ils ont noté un dysfonctionnement des lysosomes, cette petite partie du neurone qui lui permet de «digérer» des composants inutiles ou dégradés.
L'équipe de recherche a établi qu'en s'abîmant, ces lysosomes perturbent le fonctionnement du neurone. Ce mécanisme provoque alors l'apparition de filament d'amyloïdes dans la cellule, bien avant la formation de plaques à l'extérieur. Ces dernières pourraient donc être une conséquence et non une cause, selon l'hypothèse développée dans cette étude.
Un rééquilibrage des connaissances
Ce seul travail de recherche ne permet évidemment pas de trancher, mais il s'inscrit dans un mouvement plus général de remise en cause de la théorie de la cascade amyloïde. Ce questionnement est renforcé par le fait qu'aucun traitement contre Alzheimer n'a pour l'heure fait ses preuves en visant à empêcher la formation de plaques amyloïdes.
Un seul médicament, développé par l'américain Biogen, a jusqu'ici été approuvé par les autorités américaines, en 2021. Mais son intérêt reste très contesté au sein de la communauté scientifique.
Certains chercheurs ne sont toutefois pas prêts à rejeter en bloc l'hypothèse qui a servi de base à la recherche ces dernières décennies, plaidant plutôt pour un rééquilibrage des connaissances. «Il y a toujours beaucoup de preuves de l'intérêt de l'hypothèse de la cascade amyloïde pour expliquer la pathogenèse de la maladie d'Alzheimer», estime ainsi la neurologue britannique Tara Spire-Jones. Mais l'amyloïde est loin de tout expliquer.»
Fin 2021, des chercheurs européens ont formulé une hypothèse au croisement des deux autres. Elle consiste à envisager qu'il existe plusieurs formes de la maladie d'Alzheimer, dans lesquelles la cascade amyloïde joue un rôle plus ou moins important. Après avoir passé en revue quelque 200 études sur cette pathologie, ces scientifiques, emmené par l'italien Giovanni Frisoni, suggèrent de diviser les maladies d'Alzheimer en trois grandes catégories.
Dans ce classement, les formes pour lesquelles la cascade amyloïde serait bien le mécanisme principal existent, mais concerneraient une minorité de patients. Il s'agit de personnes souvent atteintes d'une forme précoce, avant 50 ans, et chez qui le rôle d'une mutation génétique précise semble avéré.
La catégorie qui rassemble le plus grand nombre de patients, environ la moitié, est la troisième. Elle concerne les formes de la maladie dans lesquelles le rôle des plaques amyloïdes serait le moins déclencheur.
En formulant l'hypothèse de l'existence de trois maladies d'Alzheimer au lieu d'une seule, ces chercheurs ne prétendent pas rendre caduques les recherches réalisées jusqu'ici, mais espèrent affiner la connaissance de cette pathologie. L'objectif, lui, est toujours le même : «accélérer le développement de stratégies pour prévenir et traiter la maladie».