Après des années d'opacité, l'Assemblée nationale a publié mercredi pour la première fois l'utilisation en 2013 de la réserve parlementaire, d'un montant total de 90 millions d'euros, dont disposent les députés pour attribuer des subventions, le plus souvent dans leur circonscription.
A l'initiative de son président, Claude Bartolone (PS), le bureau de l'Assemblée avait décidé en octobre 2012 le principe de cette publication, pour répondre aux accusations d'opacité, même si des députés avaient déjà rendu publique l'utilisation de leur réserve et si une association avait obtenu en justice la publication de la réserve pour 2011.
"Afin de participer à l’effort national de réduction des dépenses publiques, les députés ont souhaité restituer au budget de l’État près de 10% de la réserve", souligne M. Bartolone. Le montant utilisé est donc de 81,6 millions d’euros, distribués en près de 11.000 subventions, selon les calculs de l'association Regards Citoyens qui se félicite de ce "réel progrès" même si ces données publiées un peu en vrac restent "peu accessibles".
Autre progrès, la réserve a été répartie équitablement entre majorité et opposition, alors que cette dernière n'en avait qu'une faible portion auparavant.
Les inégalités entre députés ont été aussi réduites: là où le président de l'Assemblée Bernard Accoyer (UMP) avait perçu près de 12 millions d'euros en 2011 contre 3.000 euros pour l'écologiste Yves Cochet, chaque député bénéficie désormais d’un montant de 130.000 euros en moyenne, même si la répartition entre députés relève de chaque groupe politique.
Des inégalités subsistent toutefois en fonction des responsabilités: les vice-présidents de l'Assemblée, les questeurs, les présidents de groupe et de commission disposent de 260.000 euros et le président de l'Assemblée de 520.000 euros.
A l'UMP, "la somme est de 110.000 euros de base pour chaque député. Et en fonction de l'assiduité, de la présence sur les textes, la réserve peut aller jusqu'à 150.000 euros", a-t-on expliqué de source proche du groupe. Il y a toutefois des exceptions pour les membres de la commission des Finances "qui se gèrent eux-mêmes", selon la même source.
Ainsi le président de la commission des Finances Gilles Carrez est le plus gros bénéficiaire de l'Assemblée avec plus de 780.000 euros de subventions. Cela reste néanmoins moins qu'en 2011 où il avait touché 3,85 millions d'euros.
Au PS, la répartition est égalitaire (130.000 euros), à l'exception des postes à responsabilités.
Action locale ou clientélisme
Les données montrent que les députés privilégient le financement de projets communaux (rénovation de bâtiments, de voirie, etc). Mais certains en font une utilisation plus "politique".
Outre sa mairie de Meaux, Jean-François Copé attribue ainsi une grande part de sa réserve au syndicat étudiant de droite UNI qui touche 60.000 euros. Le député PS de Paris Pascal Cherki donne lui 70.000 euros au syndicat étudiant de gauche Unef.
Pour Gérald Darmanin, député UMP du Nord, "chez moi où tout est socialiste, à Tourcoing, les collèges privés sous contrat n'ont pas de tableau numérique parce qu'on considère que le privé c'est mal. Ma réserve parlementaire finance ces tableaux".
Si une majorité de députés sont attachés à cette réserve, qui leur donne de la visibilité et de l'influence locale, certains prônent sa suppression.
"La transparence est déjà une amélioration car elle permet de voir s'il y a du clientélisme. Mais l'argent public ne devrait pas être distribué de manière discrétionnaire", souligne le député PS René Dosière, spécialiste de l'utilisation de l'argent public.
"Cela s'applique aussi aux autres endroits où il existe des réserves, comme au Sénat, au ministère de l'Intérieur et dans les conseils généraux", ajoute-t-il.
La réserve des sénateurs devrait être à son tour bientôt connue puisque sa publication, comme celle de l'Assemblée, est prévue par les nouvelles lois sur la moralisation de la vie politique votée fin 2013 après l'affaire Cahuzac.
Dans ce cadre, les députés doivent aussi rendre d'ici le 1er février leur déclaration de patrimoine à la nouvelle Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
A la différence de la réserve, elle ne sera pas publiée mais seulement consultable en préfecture.