Droite et gauche ont rejeté la réforme des retraites mardi au Sénat, mais pour des raisons diamétralement opposées, le texte ayant été vidé de sa substance au cours du débat.
Fait tout à fait exceptionnel, les 346 sénateurs ont tous voté contre la version du texte entièrement réécrit pendant plus d'une semaine de débat.
Mais, a justifié le président du groupe PS François Rebsamen, "le texte tel qu'il a été modifié par la droite du Sénat était devenu inacceptable".
Les sénateurs avaient notamment adopté un amendement centriste créant un système de retraite par points, allant à l'encontre du système par répartition défendu par le gouvernement et la gauche. Ils avaient aussi vidé le texte de sa substance, en rejetant ses deux dispositions phares, l'allongement progressif de la durée de cotisation et la création d'un compte pénibilité.
"C'est quasiment une première dans l'histoire parlementaire de voir un texte qui fait l'unanimité contre lui", a lancé le centriste Hervé Morey. "Vous allez pouvoir, Mme la ministre, entrer dans le livre des records", a-t-il ironisé à l'adresse de Marisol Touraine.
Mais, a souligné Claude Jeannerot (PS), le projet de loi constitue "un progrès, en sécurisant le système de répartition actuel, et en portant des droits nouveaux en ce qui concerne la pénibilité". "Il a été regrettable que nous n'ayons pas pu prendre en compte ces éléments de progrés", a-t-il ajouté. "Ces progrès ne figurent pas dans le texte que nous avons réécrit, c'est tout simplement la raison pour laquelle nous ne le voterons pas".
Le Sénat, "le triangle des Bermudes du gouvernement"
En revanche, pour Dominique Watrin (CRC, communiste, républicain et citoyen), "si c'est d'un échec dont il faut parler, c'est d'abord celui du gouvernement qui s'est obstiné sans écouter les propositions qui lui étaient faites". "Il était possible de faire autrement en musclant notre système de répartition, par exemple en taxant les transactions financières".
D'emblée, le groupe CRC avait annoncé qu'il s'opposerait à la réforme, lui reprochant d'être financée par les salariés avec l'allongement de la durée de cotisations.
L'échec, a accusé M. Watrin, est aussi celui de la droite, qui a voulu faire reculer l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans et "veut punir les salariés de la fonction publique et des régimes spéciaux au nom de la convergence".
"Ce qui résulte de notre débat, c'est un projt déchiqueté sans aucune cohérence, malgré la qualité de nos débats", a constaté Jean Desessard (Ecologiste). Son groupe s'était prononcé contre les deux principales mesures de financement voulues par le gouvernement: l'allongement de la durée de cotisation, et le report de six mois de la revalorisation annuelle des retraites.
Le groupe RDSE, à majorité PRG, qui "appelle de ses voeux une réforme systèmique et le passage à un système par points", ne pouvait approuver ce texte "très loin d'une réforme cohérente", a expliqué Françoise Laborde.
Pour Jean-Noël Cardoux (UMP), "tous les problèmes de fond n'ont pas été abordés, au contraire". "Nous avons pu corriger en partie ce que nous considérions comme pas profitable dans le texte. Nous avons voté des éléments positifs. Mais malgré cela, nous ne sommes pas allés assez loin", a-t-il dit.
L'adoption de l'amendement centriste créant un système de répartition par points "ouvre la porte à un régime universel et par points", s'est félicité Gérard Roche. "Mais notre amendement voté, le projet de loi n'avait plus de sens parce que nous étions dans deux logiques différentes", a-t-il ajouté.
"On a souvent accusé le Sénat d'être le triangle des Bermudes du gouvernement", a-t-il encore dit. "En vérité, le problème ne vient pas du Sénat, il vient des textes qui lui sont proposés".
Au cours du débat, Laurence Rossignol, une des porte-parole du PS, avait estimé qu'en détricotant les projets de loi, notamment celui sur les retraites, le Sénat creusait sa propre "tombe".
Le texte doit à présent repasser devant l'Assemblée nationale, le 19 ou le 20 novembre, après un échec probable en commission mixte paritaire (sept sénateurs et sept députés).