Ancienne présidente de la HALDE et secrétaire d'Etat à la Jeunesse, Jeannette Bougrab publie "Ma République se meurt" (Grasset), un livre très personnel dans lequel elle livre un regard décapant sur l'actualité, les institutions et le monde politique. Rencontre.
Article publié le 2 février 2013
Juriste de formation, universitaire, spécialiste de l'histoire du droit constitutionnel, rien ne semblait vous prédisposer à la politique...
J'ai toujours été intéressée par la chose publique. Comme tous ceux qui se sont battus pour être français, mon père - ancien harki - est à bien des égards plus français que d'autres. Le mercredi, nous regardions avec lui les questions d'actualité de l'Assemblée nationale sur FR3. Il nous demandait de rester avec lui parce qu'il ne comprenait pas tout. J'ai grandi avec cet amour de la France. Mais il n'était pas question de me lancer dans la vie publique sans que je gagne ma vie. Et puis j'ai rencontré des "passeurs", comme Pierre Mazeaud ou Alain Juppé.
Vous dites qu'à certains égard, votre père est "plus français" que d'autres. Que voulez-vous dire ?
Le jour des élections, par exemple, mon père est dans les bureaux de vote des 08H00 du matin. Il nous y emmenait. Pas question de s'abstenir : il faut dire que ni lui ni ma mère n'avaient eu le droit de vote en Algérie. De la même façon, on parlait français à la maison. On ne suivait pas non plus le ramadan parce que mes parents estimaient qu'il était impossible de se concentrer à l'école sans manger et sans boire un verre d'eau. C'était du pragmatisme et du bon sens.
Le rôle de votre père est donc essentiel pour comprendre votre parcours. Qu'il soit un ancien harki, dites-vous, explique votre engagement à droite.
L'histoire des harkis, c'est à la fois une fêlure personnelle et une force. De fait, je ne pouvais pas m'engager à gauche. Dans Les Temps Modernes, la revue de Jean-Paul Sartre, Claude Lanzmann avait écrit en 1961 que les harkis étaient des "chiens". De même, Gaston Defferre, le maire socialiste de Marseille, avait expliqué que les harkis devait aller "se réadapter ailleurs". Plus récemment, la majorité actuelle a choisi d'institutionnaliser la date du 19 mars 1962 - celle des accords d'Evian - alors qu'elle marque le début du massacre des harkis.
Comment avez-vous réagi au récent voyage de François Hollande à Alger ?
Je remarque qu'il n'a pas dit un seul mot sur les harkis... On assiste à un paradoxe étonnant. J'ai ainsi été invitée - alors que je suis fille de harki - à la fête nationale algérienne par l'ambassadeur. Mais en revanche, je n'ai jamais été priée de venir à la dernière journée d'hommage national aux harkis. On a finalement l'impression que la France n'est pas capable de défendre ses propres concitoyens. On ne peut pas être généreux pour certaines catégories et laisser les autres de côté.
Aujourd'hui, peut-on considérer que vous êtes retirée de la vie publique ?
Je suis vraiment retirée, en accord avec Nicolas Sarkozy. J’ai l'ai vu cet été et on en a convenu ainsi. S’il revient je reviendrai. Je ne reviendrai que pour lui. Je n’ai aucun mandat. Je viens d’adopter un enfant, et je ne veux pas sacrifier ma vie de maman pour un engagement qui parfois se déroule dans un climat médiocre. Me battre pour un poste de secrétaire nationale à l'UMP ou une investiture, je ne veux plus, surtout pour me faire taper dessus par ma propre famille politique.
Dans votre livre, vous revenez sur vos expériences, notamment sur la présidence de la HALDE...
Ce fut le Vietnam. Non pas le pays, mais la guerre ! J’ai vu comment une institution, qui était sur le papier la matérialisation du principe d’égalité, a été dénaturée. C’était le ver dans la République. Quand ces gens de la HALDE m'ont expliqué que les responsables de la crèche Baby-Loup étaient des salauds parce qu’ils interdisaient le port du voile aux employés, les bras m’en sont tombés. J'ai vu là-bas les ravages du communautarisme et du différentialisme dans l'esprit de gens pétris par une culpabilité post-coloniale.
Une large partie de cet ouvrage est consacré à l'Islam. "Il n'y a pas de charia light ou d'islamisme modéré" affirmez-vous.
Je regarde lucidement ce qui se passe en Algérie, en Tunisie, au Maroc. Et même ici en France. Je songe à ces 8500 pots de mousse au chocolat jetée au Havre en décembre car ils contenaient de la gélatine de porc. A Strasbourg, on supprime la couronne de l'Épiphanie. Plus tragiquement, je n'oublie pas le sort de Sohane, brûlée vive dans un local-poubelle. Je pense à l'affaire Merah. Charb, le directeur de Charlie Hebdo, vit sous protection policière. Le philosophe Robert Redecker ne peut toujours pas enseigner... Donc, non, je n'ai aucun complexe à parler de l'Islam.
Jeannette Bougrab, Ma République se meurt, Paris : Grasset, 216 p., 18 euros.