Après des mois de suspense, Bob Dylan a finalement reçu samedi à Stockholm son prix Nobel de littérature lors d'une rencontre à huis clos avec les académiciens suédois qui l'ont distingué pour sa poésie.
A 75 ans, il est le premier chanteur à rejoindre les hommes et les femmes de lettres canonisés par l'Académie suédoise depuis 1901.
Nimbée de secret jusqu'au bout, la remise du prix a été confirmée dans la soirée par un des académiciens, Horace Engdahl, du bout des lèvres.
«Oui», a répondu M. Engdahl à la chaîne de télévision publique suédoise SVT qui lui demandait si le taiseux chanteur américain avait bien reçu le prestigieux prix dont il a été récompensé en octobre dernier.
On ignorait dans l'immédiat les circonstances exactes de la remise du diplôme et de la médaille du prix, et si elle avait eu lieu avant ou après le concert que Dylan donnait samedi dans la capitale suédoise.
Le mystère demeure également entier quant à son discours de réception, qui peut aussi être une chanson. Tout lauréat doit rendre sa «leçon Nobel» dans les six mois suivant la cérémonie de remise du prix le 10 décembre, soit avant le 10 juin.
«L'Académie suédoise et Bob Dylan sont convenus de se rencontrer ce week-end. Cela se fera en petit comité et dans l'intimité, et aucun média ne sera présent; seuls Bob Dylan et des académiciens seront présents, conformément aux souhaits de Dylan», avait expliqué la secrétaire perpétuelle de l'Académie suédoise, Sara Danius.
«Aucun discours Nobel ne sera prononcé. L'Académie a de bonnes raisons de penser qu'une version enregistrée (du discours) sera envoyée à une date ultérieure», avait-elle ajouté.
Car sans leçon, pas de cachet: le chèque de huit millions de couronnes (838.000 euros) n'est signé et remis que si la leçon a été donnée.
«Hippies séniles»
Bob Dylan doit donner deux concerts dans la capitale suédoise, samedi et dimanche, coup d'envoi d'une tournée européenne à l'occasion de la sortie de son nouvel opus, un triple album de reprises de Frank Sinatra.
Peu avant le concert de samedi, prévu à 19H30 (17H30 GMT), les fans commençaient à se masser aux abords du Stockholm Waterfront.
Ylva Berglof, 62 ans, voyait le chanteur sur scène pour la 18e fois. «Il mérite (le Nobel) même si je trouve qu'il n'a pas bien géré. Il aurait pu se montrer plus reconnaissant», confiait-elle à l'AFP.
Des spécialistes ne s'attendaient pas à ce que Dylan évoque son prix sur scène.
«Dès que vous voulez l'emmener dans une direction, il prend le contrepied», explique Martin Nyström, critique musical du quotidien Dagens Nyheter.
À la surprise générale, Bob Dylan, de son vrai nom Robert Allen Zimmerman, avait été récompensé en octobre «pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d'expression poétique», selon les attendus de l'Académie.
Son nom comme celui du Canadien Leonard Cohen, décédé en novembre, revenait de temps en temps dans les spéculations, sans jamais être pris au sérieux.
Là où les puristes attendaient ses compatriotes Philip Roth ou Don DeLillo, la secrétaire perpétuelle Sara Danius a âprement défendu son choix et celui de ses pairs, inscrivant la poésie chantée de Dylan dans la tradition homérienne.
Du côté des indignés, l'Ecossais Irvine Welsh, auteur de «Trainspotting», s'était moqué d'un prix décerné par «des hippies séniles».
«Arrogance»
Pris à son corps défendant dans ce tumulte de louanges et de critiques, Bob Dylan a accueilli l'annonce par un silence non moins tonitruant. Au point qu'un notable de l'Académie, Per Wästberg, s'était emporté contre son «arrogance».
Le soir du banquet, le 10 décembre, c'est l'ambassadrice américaine en Suède qui a lu son discours de remerciements, dans lequel il confiait son étonnement de voir son nom aux côtés de Rudyard Kipling (1907) ou Ernest Hemingway (1954).
«Ces géants de la littérature dont les oeuvres sont enseignées dans les classes, figurent dans les rayonnages des bibliothèques du monde entier et dont on parle avec tant de déférence ont toujours fait sur moi la plus profonde impression», disait-il alors.
Avec son folk-rock lettré, ses lunettes noires et sa voix rugueuse, Bob Dylan est passé du troubadour folk à l'aube des années 1960 à la superstar décorée en 2012 par le président américain Barack Obama.