La gauche brésilienne, en pleine tempête politico-judiciaire, se bat lundi sur deux fronts, une commission parlementaire étudiant la destitution éventuelle de la présidente Dilma Rousseff, tandis que son prédécesseur et mentor, Lula, fait tout pour redevenir ministre.
En fin de journée doit s'ouvrir une nouvelle séance du Parlement, dont 65 députés, réunis en Commission spéciale, examinent depuis vendredi l'éventualité d'une procédure de destitution, réclamée par l'opposition pour maquillage présumé des comptes publics en 2014.
La situation est particulièrement dangereuse pour la chef de l'Etat au pouvoir depuis 2011, dans un climat d'animosité populaire qui a vu descendre dans les rues trois millions de personnes réclamant son départ, même si la gauche a aussi mobilisé ses troupes, mais dans une bien moindre mesure (267.000 manifestants dans tout le pays vendredi).
Un sondage de Datafolha divulgué samedi a montré que 68% des Brésiliens approuvent désormais une destitution, huit points de plus qu'en février.
La commission parlementaire, qui prévoit de donner d'ici un mois son avis, semble plus divisée: 32 membres sont pour la destitution, 31 contre et deux hésitent, selon un sondage de la société Arko Advice publié dimanche par le journal O Dia. Son avis doit ensuite être confirmé par deux tiers des députés puis des sénateurs.
Mais selon le même institut, quasiment les deux tiers (62%) des députés pensent que la présidente sera destituée, presque trois fois plus que lors d'un précédent sondage en février.
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Après la puissante Fédération des industries de Sao Paulo (Fiesp) et l'Ordre général des avocats (OAB), dimanche c'est l'ancien président social-démocrate Fernando Henrique Cardoso (1995-2002) qui a apporté son soutien à la procédure de destitution.
"Avec l'incapacité aujourd'hui du gouvernement à fonctionner (...), je pense que maintenant le chemin à suivre est l'impeachment" (destitution), a-t-il expliqué au journal O Estado de Sao Paulo, même si ce processus sera "douloureux". "Mais l'impeachment est aussi douloureux que d'assister au déclin de l'économie et de la société".
Le Brésil, première économie d'Amérique latine, hôte des jeux Olympiques de Rio en août prochain, est paralysé par une récession historique et les retombées politiques et judiciaires du scandale de corruption Petrobras, qui touche de plein fouet le Parti des travailleurs (PT) au pouvoir.
- Lula à la merci de la justice -
Samedi, un sénateur de gauche, Delcidio Amaral, a accusé dans l'hebdomadaire Veja la présidente d'avoir "hérité et bénéficié directement" du réseau de pots-de-vin monté autour du groupe pétrolier d'Etat.
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Si l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), soupçonné par la justice de corruption et blanchiment d'argent, "dirigeait le système", "Dilma aussi savait tout", a-t-il ajouté.
Icône de la gauche brésilienne, président le plus populaire de l'histoire du Brésil, Lula avait été appelé au secours la semaine dernière par Dilma Rousseff, qui l'avait nommé chef de son cabinet (quasi-Premier ministre).
Mais ses ennuis judiciaires l'ont vite rattrapé et sa nomination a été suspendue vendredi soir par un juge du Tribunal suprême fédéral (STF).
Furieux, il a contre-attaqué dimanche soir en déposant un recours en justice. "Lula n'est accusé d'aucun crime, même après avoir été soumis à un véritable déballage et à des intimidations ces derniers mois", a fustigé dans un communiqué l'institut Lula, basé à Sao Paulo (sud-est).
Cette fondation, qui se consacre à la coopération du Brésil avec l'Afrique et l'Amérique latine, a dénoncé le "harcèlement médiatique de Lula, par le biais de fuites illégales, de déclarations irresponsables des autorités, de fausses dénonciations et de l'intrusion systématique dans son intimité, avec la complicité honteuse des médias et d'agents factieux de l'Etat".
Selon l'institut, "Lula a été victime d'une série de pratiques arbitraires" de la justice, dont "la demande (...) de détention provisoire de l'ex-président par le ministère public de Sao Paulo", qui serait sans effet si Lula était effectivement ministre.
Le STF, plus haute instance judiciaire du Brésil, est le seul habilité pour confirmer ou annuler cette suspension provisoire.
Mais en raison des vacances de Pâques, il ne se réunira pas avant le 30 mars, laissant donc Lula à la merci de la justice ordinaire: le redouté juge Sergio Moro, qui instruit le dossier Petrobras, pourrait entre-temps ordonner son placement en détention provisoire.