Des maisons inclinées, des fissures sur les murs, une rue défoncée: le sol bouge à Lochwiller (Bas-Rhin), où des habitants dépités craignent que leur village ne devienne inhabitable. A l'origine du phénomène, un petit forage géothermique dans le jardin d'un particulier.
"Depuis deux ans, tout se casse la figure", enrage Rodolphe Matjeka en montrant les murs lézardés de sa maison, un corps de ferme alsacien de la fin du 18e siècle, que l'artisan a acheté en 2009 dans ce village agricole de près de 450 habitants.
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L'un des escaliers "se casse en deux" et il a fallu détruire une grange qui menaçait de s'effondrer, poursuit-il. Il assure avoir déjà dépensé des dizaines de milliers d'euros en travaux et a saisi la justice pour obtenir des dédommagements. Quelques voisins, dont les vieilles bâtisses sont aussi touchées, se sont joints à la procédure.
"Au début, on pensait que c'était lié à la construction du lotissement là-haut", explique-t-il en montrant des maisons neuves sur la petite colline à laquelle est adossée sa propriété.
Mais une série de mesures par des experts vient de désigner la véritable origine du problème, à quelques pas de la maison des Matjeka: le forage géothermique qu'a fait creuser un particulier pour le chauffage de sa maison.
Les foreurs, qui ont creusé à plus de 100 mètres, ont percé une couche étanche d'argile libérant de l'eau sous pression, explique l'un des experts, interrogé par l'AFP. L'eau a giclé vers le haut dans des couches d'anhydrite, une roche tendre qui se transforme alors par réaction chimique en gypse et gonfle en volume, ce qui soulève le sol.
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Le même phénomène a déjà été enregistré à quelques 120 km à vol d'oiseau de Lochwiller: depuis 2007, le centre historique de la petite ville allemande de Staufen-en-Brisgau se soulève progressivement à la suite d'un forage géothermique dans de l'anhydrite. A ce jour plus de 200 maisons y sont fissurées.
Pour l'instant, les conséquences ne sont visibles que dans une partie de Lochwiller, mais "le mouvement sous-terrain s'étend de plus en plus, et à terme, il touchera tout le village", estime cet hydrogéologue.
"Il est impossible de dire dans quelle échelle de temps, mais cela va rendre de plus en plus de maisons inhabitables, et des risques d'effondrements progressifs dans toute la commune", poursuit-il.
Plusieurs dizaines de centimètres en trois ans
Le nouveau quartier est lui-même touché. Une jeune mère de famille explique que les portes se ferment toutes seules dans sa maison neuve, qui comme celles de certains voisins s'incline petit à petit.
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La voirie de ce lotissement neuf a commencé à gonfler: par endroits, la chaussée s'est soulevée de dizaines de centimètres en trois ans, à tel point qu'une rue a dû être barrée.
A moins de 100 mètres du forage en cause, Jean-Baptiste assure qu'"à ce jour", il n'a rien constaté sur sa maison. "J'ai appris qu'elle bougeait", sourit le jeune homme, "mais le vrai problème, c'est que plus aucune maison de Lochwiller ne peut se vendre: je rembourse un emprunt pour une maison qui n'a plus de valeur".
Mais cela n'empêche visiblement pas les curieux d'affluer. "C'est devenu une balade en famille, le dimanche, après le repas, on va voir les fissures de Lochwiller", déplore-t-il.
Dans une rue parallèle, le maire, Jean-Marie Storck, ne tient pas à s'exprimer avant la fin des expertises judiciaires. Eprouvé par cette affaire qui met un coup d'arrêt à la croissance de son village, il assure avoir saisi "toutes les autorités compétentes".
Une note de l'expert judiciaire mandaté par la justice esquisse une solution: obturer tous les terrains autour du forage pour mettre fin aux remontées d'eau. Mais rien ne garantit que l'opération règlerait le problème, précise-t-il.
Et surtout, qui paierait? "Que ce soit la commune, l'Etat, les foreurs ou le chauffagiste, il va bien falloir trouver qui est responsable, parce que les assurances des habitants ne prennent rien en charge", s'impatiente M. Matjeka.