La Commission pontificale pour la protection des mineurs dans l'Eglise a publié son premier rapport annuel dédié ce mardi 29 octobre. Le document pointe un manque de transparence, des lenteurs et met en lumière les disparités culturelles d'un continent à l'autre sur le sujet.
«L'Eglise a échoué» à protéger les plus vulnérables et «rien ne sera jamais assez pour réparer totalement le mal infligé».
C'est avec ces mots que le cardinal Sean Patrick O'Malley, président de la Commission pontificale pour la protection des mineurs dans l'Eglise, a présenté le premier rapport publié sur le sujet, ce mardi 29 octobre.
Une évaluation des procédures déjà en place
Créé en 2014 par le pape François, cet organe consultatif est composé de membres directement nommés par le souverain pontife, des experts religieux et laïcs dans divers domaines liés à la protection des personnes, notamment le droit, l'éducation, la psychologie, la psychiatrie ou les droits humains.
Le rôle de cette commission n'est pas de recenser les cas d'agressions sexuelles dans l'Eglise, mais d'évaluer les procédures en place pour faciliter les signalements, recueillir la parole des victimes et les accompagner, tout en sanctionnant les auteurs.
The Pontifical Commission for the Protection of Minors releases a pilot report, compiling extensive research from across five continents.https://t.co/iiKx4khqY7
— Vatican News (@VaticanNews) October 29, 2024
La consigne du souverain pontife était simple : «fournir un compte-rendu fiable sur ce qui se fait actuellement ainsi que sur ce qui doit changer» en matière de lutte contre les abus. L'objectif était d'obliger l'Eglise à la transparence, mais aussi à l'action.
Ce rapport, d'une centaine de pages, a été présenté comme une «première étape», cela signifie qu'il n'a pas l'ambition d'analyser l'ensemble des procédures mises en place dans le monde.
Dix-sept pays seulement sont représentés, de manière succinte pour l'instant et, selon les rédacteurs, il faudra 5 ou 6 rapports annuels pour examiner l'ensemble de l'Eglise catholique.
Lenteur des procédures et besoin de «vérité»
De ce rapport «pilote», il ressort principalement une impression de lenteur dans la mise en place des procédures par les Eglises locales et une opacité dans le traitement des cas.
L'une des priorités identifiées porte sur la demande des victimes d'avoir «accès à la vérité». L'Eglise doit «étudier des mesures qui garantissent à toute personne le droit à l'information» en particulier «sur les circonstances et les responsabilités».
La victime doit par exemple savoir ce qu'est devenu son agresseur, si elle ne risque pas de le rencontrer dans sa paroisse locale, à la messe ou au catéchisme.
A ce sujet, la Commission suggère de créer une fonction de médiateur et promeut également une «définition plus uniforme de la vulnérabilité» en tirant les leçons des témoignages des victimes. Lors des auditions, l'une d'elles s'est par exemple dite stupéfaite que «la partie la moins éprouvante de tout ce processus ait été l'agression». «La chose vraiment terrible c'est quand tu oses dénoncer, à ce moment-là le monde commence à s'effondre sur toi», a-t-elle ajouté.
La commission insiste aussi sur la nécessité d'accélérer «les procédures de démission» des responsables ecclésiastiques mis en cause dans des affaires de pédocriminalité. Le rapport ne précise toutefois pas si cela doit intervenir dès les soupçons et la dénonciation des faits ou à l'issue d'un processus judiciaire. Il se contente de le préconiser «lorsque c'est justifié».
Des disparités culturelles à prendre en compte
«Le travail à faire est énorme», a reconnu le cardinal Sean Patrick O'Malley. Notamment, en raison des grandes disparités de perceptions culturelles dans les sociétés et au sein même de l'institution. Dans certaines parties du monde, la question des agressions sexuelles au sein de l'Eglise a émergé «il y a plus d'une génération» tandis que dans d'autres «seulement il y a une dizaine d'années». Dans d'autres encore, «le sujet n’a pas encore intégré le débat public», souligne le rapport.
Sur le continent africain, par exemple, «la culture de la protection est un concept nouveau qui exige sensibilisation, information, formation et développement de compétences». La commission reconnaît notamment de «fortes pressions sociales» qui font obstacle aux dénonciations au Cameroun, installant «une culture du silence et du tabou autour de l'abus sexuel».
En parallèle, au Mexique, «des barrières culturelles significatives» se dressent face à l'impératif de signaler les violences sexuelles, ce qui constitue «une claire entrave au processus de justice». En Colombie, les évêques ont reconnu les «limites et les infractions» de leurs protocoles, qui ont causé «davantage de douleurs» pour les victimes.
En Océanie, et notamment en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le manque de ressources financières, d'experts, de structures diocésaines, d'accompagnement et de prise en compte des victimes, associé à l'absence d'accord avec les autorités civiles, sont soulignés. Une «lacune persistante» dans la gestion des données est par ailleurs relevée.
L'Europe a aussi ses travers puisque «dans plusieurs endroits de la région on note une absence persistante de statistiques fiables sur les violences» sexuelles dans l'Eglise locale, note la Commission. Cette dernière a notamment fait un focus sur la conférence épiscopale de Belgique où la mauvaise gestion et l'«inaction» de la hiérarchie a selon elle miné la confiance de la société envers l'Eglise.
Ces disparités s'accompagnent de fortes inégalités de moyens d'un continent à l'autre. Voilà pourquoi le rapport souligne «l'urgence d'accroître la solidarité» interne, afin d'allouer des ressources adéquates aux régions qui en manquent. L'Amérique centrale et du sud, l'Afrique et l'Asie en auraient notamment besoin, afin de permettre la création de centres d'accueil et d'écoute des victimes, mais aussi de financer la formation en matière de prévention des violences sexuelles.
La Curie romaine pointée du doigt
En dehors des Eglises locales, les auteurs du rapport se sont également intéressés aux pratiques de la Curie romaine, à savoir l'organe central du gouvernement de l'Eglise catholique. Elle fait l'objet d'«une préoccupation persistante» en entretenant, selon des éléments remontés à la Commission, une culture qui tendrait à alimenter «la méfiance parmi les fidèles».
Deux départements romains sont pointés du doigt en particulier : le dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF), en charge de juger les abus les plus graves, et celui du Clergé, qui supervise les plus de 400.000 prêtres catholiques présents dans le monde. Un manque global de transparence et de rapidité dans le traitement des abus ainsi que des lacunes en terme de prévention sont déplorés.
Les membres de la Commission plaident globalement pour une meilleure coordination entre les différents échelons ecclésiaux, afin qu'ils puissent être véritablement au service des victimes. Ils recommandent en outre la rédaction d'une encyclique sur la protection des mineurs et des personnes vulnérables par le pape, pour unifier la lutte contre les abus.