Plus de 1.000 arrestations ont eu lieu dans 25 campus américains, alors que des étudiants se rassemblent depuis mi-avril pour protester contre la guerre à Gaza et le soutien de leur gouvernement à Israël. Un mouvement historique qui n’est pas sans rappeler celui contre la guerre du Vietnam à la fin des années 1960.
Une partie de la jeunesse d’un pays qui s’embrase. Le mouvement universitaire américain contre la guerre à Gaza qui a débuté à l’Université de Columbia à la mi-avril continue de s’étendre à tout le pays. Des étudiants pro-palestiniens occupent les campus et exigent un cessez-le-feu, tout en critiquant le soutien de leur gouvernement à Israël. Ce mouvement massif a déjà donné lieu à plus de 1.000 arrestations, sur 25 campus, dans 21 Etats, selon le New York Times. Un événement de plus qui vient faire basculer le fragile équilibre du pays en pleine année électorale.
Ce mardi 30 avril, la police de New York est intervenue à l'université de Columbia, épicentre de la mobilisation pro-palestinienne sur les campus américains, afin de déloger les manifestants qui se barricadaient dans un bâtiment depuis la nuit précédente. Des dizaines de policiers, en tenue antiémeute, aidés d'un véhicule d'intervention avec échelle, sont entrés sur le campus pour évacuer les lieux et procéder à plus d'une centaine d'arrestations, selon CNN, avec pour certaines un placement en détention.
Yale, UCLA, New-York University, City college of New-York, Portland State University, University of Southern California, University of Texas, Virginia Tech, Indiana University, Washington University, mais aussi Emerson College, ou encore Brown University… Plus d’une vingtaine de prestigieuses universités américaines ont suivi le mouvement entamé à Columbia et ont vu leurs étudiants arrêtés. Après les arrestations à Columbia du 18 avril, les «campements en solidarité avec Gaza» ont fleuri à travers le pays. Le site Palestineiseverywhere, qui se base sur des recensements étudiants et médiatiques, en compte à ce jour 58.
Cessez-le-feu et désinvestissement des universités
Globalement, les différentes organisations étudiantes se rejoignent sur leurs revendications principales : un appel au cessez-le-feu, à «la libération palestinienne», la «reconnaissance d’un génocide en Palestine», le boycott des institutions israéliennes mais aussi et surtout le «désinvestissement de leurs universités vis-à-vis des entreprises impliquées dans la guerre à Gaza».
Et pour cause, la plupart des universités américaines fonctionnent à l’aide de dotations. Il s’agit de fonds générés par les universités et gérés par une société d’investissement qui appartient aux établissements. Ces fonds sont ainsi investis dans des entreprises afin d’aider les institutions à gagner de l’argent et prospérer financièrement. Les manifestants pro-palestiniens exigent donc que leurs universités coupent les ponts avec ces mécènes ou entreprises, comme Microsoft, Amazon, ou encore des fabricants d’armes, qui sont de près ou de loin, accusées d’avoir un lien avec Israël et donc de financer la guerre à Gaza.
À Columbia, cette dotation représente 13,6 milliards de dollars d’investissements. Une somme colossale, qui revêt des enjeux capitaux pour l’université. Si à ce stade plusieurs directions d’universités ont accepté de négocier avec les étudiants, comme à Brown University, la majeure partie d’entre elles refuse catégoriquement toute négociation, et préfère faire appel à la police pour déloger les manifestants, comme à Columbia, où la direction s’est montrée intransigeante.
Mouvement étudiant historique aux États-Unis, comme en France
Robert Cohen, professeur d’histoire et de sciences sociales à NYU, spécialiste des mobilisations étudiantes, cité par TV5 Monde, estime que le mouvement actuel est «le plus important mouvement sur les campus américains depuis le début du XXIe siècle». Si certaines mobilisations comme Black Lives Matter étaient aussi très présentes dans les universités ces dernières années, elles ne concernaient pas spécifiquement les étudiants et leurs organisations.
Le soutien militaire, financier et politique des Etats-Unis à Israël est la cible particulière des critiques des étudiants. «Contrairement au Vietnam, il n’y a pas de troupes américaines envoyées sur place. Mais les étudiants se sentent coupables en voyant les images de morts civils à Gaza, puisque l’argent du contribuable américain est utilisé pour mener cette guerre sanglante. L’escalade, les bombardements, l’augmentation du bilan civil ont provoqué ce soulèvement», poursuit le chercheur américain.
Un discours qui n’est pas sans rappeler celui des étudiants français, qui ont récemment exprimé leur colère en manifestant devant des écoles et universités comme Science Po Paris ou la Sorbonne, et qui ont, eux aussi, été délogés par une intervention policière. Aux Etats-Unis comme en France, ces mouvements de soutien aux Palestiniens sont discrédités aux yeux d’une partie de la population et des autorités par le spectre de l’antisémitisme et de l’apologie du terrorisme.
Un enjeu politique avant la présidentielle
À six mois de la présidentielle dans un pays polarisé, ce mouvement étudiant a fait vivement réagir le monde politique. Joe Biden «doit faire quelque chose» contre ces «agitateurs payés», a déclaré mardi soir sur Fox News le candidat républicain Donald Trump. «Il nous faut mettre fin à l'antisémitisme qui gangrène notre pays aujourd'hui», a-t-il ajouté. «Alors que l'université Columbia est plongée dans le chaos, Joe Biden est absent parce qu'il a peur de s'attaquer au sujet», a abondé sur X le chef républicain de la Chambre des représentants Mike Johnson.
Si les Républicains «profitent» de la situation pour critiquer l’inaction de Joe Biden, la volonté des Démocrates de regagner le vote des jeunes, qui manquent pour certains d’enthousiasme face à la candidature du président sortant à sa réélection en novembre, pourrait en effet pousser Joe Biden et son camp à légèrement influer leur position sur la guerre à Gaza et le soutien américain inconditionnel à Israël.
«Selon les sondages, la cause palestinienne n’est pas l’enjeu prioritaire pour les jeunes votants. Mais c’est quand même une question importante, et dans une élection aussi serrée, elle peut affecter Biden. Il a en partie gagné en 2020 grâce aux jeunes. Et certains de ces jeunes, sans aller jusqu’à donner leurs voix à Trump, pourraient s’abstenir de voter pour celui qu’ils surnomment Genocide Joe», estime Robert Cohen.