Le Texas est au cœur d’une bataille politique et juridique depuis plusieurs semaines, entre les autorités locales et l’État fédéral, autour de la question migratoire à la frontière avec le Mexique. Un dossier brûlant à l’approche de l’élection présidentielle américaine.
À l’approche de l’élection présidentielle américaine, le sujet de l’immigration est au cœur des débats. Depuis plusieurs semaines, le Texas et l’État fédéral se livrent une véritable bataille à propos de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Le gouverneur du Texas, Greg Abbott, un ultra-conservateur proche de Donald Trump, défie ouvertement l’autorité de l’État fédéral en matière d’immigration, et accuse l’administration de Joe Biden d’inaction en la matière.
La crise a explosé entre le 10 et le 12 janvier dernier, lorsque la Garde nationale du Texas a empêché la police des frontières d’installer des équipements de surveillance dans une zone toute proche de la frontière, le Shelby Park, l’un des secteurs clés de la frontière, dans la petite ville d'Eagle Pass.
Le même jour, le Texas a fait renforcer les barbelés, clôtures et des barrières pour interdire l’accès au Shelby Park. Le 12 janvier, trois migrants, une mère et ses deux enfants, sont morts noyés dans le Rio Grande, fleuve qui sépare les États-Unis du Mexique, sans que la police des frontières ne puisse intervenir.
Selon CNN, les agents de la police des frontières, alertés par les noyades, ont été bloqués à l’extérieur du Shelby Park par la Garde nationale du Texas qui leur bloquait l’accès. Scandalisée, l’administration de Joe Biden avait dénoncé l’obstruction des autorités locales du Texas au travail de la police des frontières. «Une femme et deux enfants se sont noyés près d'Eagle Pass, alors que les autorités du Texas ont empêché la police des frontières de leur porter assistance», avait notamment déclaré un porte-parole de la Maison Blanche, Angelo Fernandez Hernandez, après le drame.
De son côté, la Garde nationale du Texas affirme avoir elle-même effectué des recherches près du Rio Grande pour retrouver ces trois migrants, après avoir été alertée par la police des frontières, sans réussir à localiser les corps. Elle affirme également avoir cessé les recherches après avoir été informée que les autorités mexicaines étaient en train de «réagir à un incident sur leur rive du fleuve».
Question de la compétence sur l'immigration
Mais pourquoi la police des frontières a-t-elle été empêchée dans ses missions de protection des frontières par l’État du Texas ? Le gouverneur de cet État du sud du pays, très conservateur en matière d'immigration, a décidé de prendre les rênes de la politique migratoire du Texas, alors même que l'État fédéral est le seul compétent en la matière. Il a donc décidé de prendre le contrôle de certaines zones frontalières tendues et a mis en place des barbelés pour empêcher les migrants de passer la frontière.
En décembre dernier, une cour d'appel fédérale a interdit à la police des frontières de porter atteinte aux barbelés installés par le Texas à proximité de la localité frontalière d'Eagle Pass, pour mener à bien ses missions, sauf exception justifiée par une urgence médicale. Une décision contestée par l’État fédéral, si bien que le ministère de la Justice a saisi la Cour suprême début janvier pour obtenir l'annulation de cette décision.
Le 22 janvier, la plus haute instance judiciaire des États-Unis a rendu sa décision, et a autorisé l’administration fédérale à retirer les barrières et les barbelés installés par la Garde nationale du Texas. «L'application de la législation sur l'immigration est une responsabilité fédérale. Au lieu de contribuer à réduire l'immigration clandestine, l'État du Texas n'a fait que compliquer la tâche du personnel de première ligne et l'application des sanctions prévues par la loi», a déclaré un porte-parole du ministère de la sécurité intérieure après la décision de la Cour.
Une guerre loin d'être terminée
Malgré cette décision, le conflit continue de part et d'autre du Rio Grande, et le Texas a estimé que, la Cour suprême n’ayant explicitement donné raison à aucun des deux camps, la Garde nationale de l’État pouvait continuer à installer ses barbelés.
«Le président Biden a violé son serment d'appliquer fidèlement les lois sur l'immigration promulguées par le Congrès», a déclaré le gouverneur Greg Abbott dans un communiqué. «Au lieu de poursuivre les immigrants pour le crime fédéral d'entrée illégale, le président Biden a envoyé ses avocats dans les tribunaux fédéraux pour poursuivre le Texas qui a pris des mesures pour sécuriser la frontière», a-t-il décrié.
La crise migratoire a atteint des records en 2023 aux États-Unis, avec au mois de décembre, une moyenne de 10.000 passages de la frontière par jour entre le Mexique et les États-Unis. La guerre sur la politique migratoire ne se joue évidemment pas que sur le terrain judiciaire entre Greg Abbott et l’État fédéral, mais également au Congrès américain.
Un enjeu majeur pour la présidentielle
En pleine campagne pour sa réélection en novembre prochain, le président Joe Biden durcit le ton depuis plusieurs semaines sur la question de l’immigration, et tente désespérément de faire approuver un projet de loi lui permettant de totalement fermer les frontières en cas d’un afflux de migrants trop important. Il estime que ce projet est «l'ensemble de réformes le plus sévère et le plus juste que nous ayons jamais eu dans notre pays pour sécuriser la frontière».
Si ce discours devrait plaire aux Républicains du Congrès, majoritaires à la Chambre des Représentants, il y a un hic dans l’équation : sous la pression de la droite, le projet de loi sur l’immigration de Joe Biden a été lié à celui sur l’aide américaine pour l’Ukraine, et doivent donc être négociés ensemble. Cependant, l’aile droite des Républicains et les proches de Donald Trump refusent de signer tout accord augmentant les financements pour l’Ukraine. Pour l’heure, les deux projets sont donc au point mort.
Par ailleurs, ce samedi, Donald Trump, lui aussi en campagne, a réitéré son opposition au projet d’accord sur l’immigration proposé par Joe Biden ce week-end. «Un mauvais accord sur la frontière est bien pire que pas d'accord du tout !», a-t-il notamment écrit sur son réseau Truth Social. L’ancien président américain tente de jouer de son influence sur ses camarades républicains du Congrès pour bloquer une aide supplémentaire à l’Ukraine, et toute victoire politique pouvant servir à Joe Biden.