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Guerre en Ukraine : en quoi pourrait consister la contre-offensive de Kiev ?

S'il est impossible de prédire le résultat de la contre-offensive, plusieurs signaux donnent à Kiev des raisons d'espérer. [Radio Free Europe/Radio Liberty/Serhii Nuzhnenko via REUTERS]

Alors que les combats font toujours rage à Bakhmout, l'Ukraine se prépare à mener sa contre-offensive. De nombreuses zones d'ombres entourent encore cette opération d'envergure qui pourrait être décisive pour la suite du conflit.

quand l'offensive sera-t-elle lancée ?

«Nous avons encore besoin d'un peu plus de temps». Jeudi 11 mai, Volodymyr Zelensky a retardé un peu plus le lancement de la contre-offensive ukrainienne, une menace que Kiev fait planer sur l'armée russe depuis des mois. Alors que l'Etat-major ukrainien avait annoncé quelques jours plus tôt être «prêt» à mener l'attaque, Volodymyr Zelensky a confié à la BBC vouloir temporiser, expliquant que son armée pouvait «aller de l'avant réussir» mais risquerait de perdre «beaucoup de monde».

Alors que Volodymyr Zelensky rentre d'une tournée des capitales européennes fort de la promesse «de nouvelles armes puissantes», la question du matériel peut expliquer en partie le retardement de la contre-offensive. «Les forces ukrainiennes reçoivent des Occidentaux des quantités d'armements considérables mais de type très différent et par petite quantité. Cela complexifie la logistique, la formation des soldats et la coordination», explique à CNEWS le général de corps aérien Bruno Clermont. Une difficulté à laquelle n'est pas confrontée l'armée russe qui dispose d'un arsenal homogène.

Pour le chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, la contre-attaque ukrainienne a déjà commencé à Bakhmout, épicentre des combats en Ukraine depuis plusieurs mois. «Le plan de l’armée ukrainienne est en action […], toutes les unités qui ont été entraînées et qui ont reçu les armes, les chars et tout le nécessaire sont déjà pleinement engagées», a assuré celui qui s'est donné pour mission de prendre la ville.

comment et où les ukrainiens vont-ils attaquer ?

Pour le général de corps aérien Bruno Clermont, la contre-offensive ukrainienne comprend deux étapes. «La première, qui a déjà commencé, consiste à effectuer des frappes en profondeur, au-delà de la ligne de contact, pour affaiblir l'adversaire en détruisant ses postes de commandement, ses dépôts logistiques et ses dépôts de carburants. La seconde, sera l'offensive terrestre avec des combats visant à reprendre km2 par km2 le territoire ukrainien occupé par les forces russes».

Selon plusieurs spécialistes, si la ville de Bakhmout permet à Kiev de fixer les troupes russes à un endroit du front, elle ne constitue pas le centre de son offensive. «Les Ukrainiens vont sans doute vouloir essayer de percer la continuité territoriale entre le Donbass et la Crimée pour couper en deux les forces russes. Pour réaliser cette opération, ils pourraient passer par l'oblast de Zaporijia, en attaquant au nord de la ville, là où le Dniepr est moins large. D’ailleurs les Russes ont commencé à évacuer un certain nombre de villages de la région», avance le militaire.

En cas de percée victorieuse, jusqu'où iront les troupes ukrainiennes ? Pour Volodymyr Zelensky, l'objectif est clair. Après s'être dit prêt à un «compromis» sur le statut du Donbass et de la Crimée en mars 2022, le président ukrainien a durci ses positions. Depuis janvier, il martèle désormais sa volonté de rétablir l'Ukraine dans ses frontières d'avant 2014, quand le Donbass et la Crimée étaient sous contrôle ukrainien.

Cet objectif ne convainc pas certains pays du sud, pressés de voir la guerre se terminer. Le président brésilien Lula a ainsi suggéré à l’Ukraine de céder la péninsule de Crimée à la Russie, si cela pouvait mettre fin à la guerre. Il a reçu de Kiev une fin de non-recevoir.

le territoire russe sera-t-il visé ?

C'est un tabou côté ukrainien. Officiellement, Kiev n'attaque que les unités russes présentes sur son territoire. Dans les faits, plusieurs attaques pouvant être attribuées aux Ukrainiens ont touché le territoire russe, près de la frontière ou en Crimée annexée. 

Le ministère russe des Affaires étrangères a estimé début mai que «les activités terroristes et de sabotage des forces armées ukrainiennes» prenaient «une ampleur sans précédent». Les attaques se sont en effet multipliées ces derniers jours, avec en particulier plusieurs incursions de drones et des sabotages ferroviaires. Des cibles plus éloignées ont également été visées. En décembre dernier, les bases aériennes de Diaguilevo et d'Enguels, à plus de 500 km de la frontière, ont été frappées par d'anciens drones soviétiques reconvertis en missiles.

Du côté des alliés de l'Ukraine, la consigne est claire : les armes livrées à Kiev doivent servir à défendre l'Ukraine et non à attaquer la Russie. Pour eux, le risque est trop grand de passer pour un «cobelligérant» aux yeux du Kremlin. C'est dans cet esprit que les Etats-Unis se sont refusés à livrer à Kiev ses missiles longue portée ATACMS, capables de frapper une cible à plus de 300 km. Mais le Royaume-Uni a brisé un tabou le 11 mai en devenant le premier pays occidental à livrer à l'Ukraine des missiles longue portée, les «Storm Shadows», d'une portée de 250 km. Une aide dénoncée comme un geste «extrêmement hostile» par Moscou, qui a accusé Kiev quelques jours plus tard d'avoir visé «des cibles civiles» avec des missiles britanniques.

Selon des révélations du Washington Post, l'Ukraine pourrait aussi tenter des manœuvres bien plus risquées en territoires russes. Des documents classifiés issus des récentes fuites des services américains indiquent, selon le journal américain, que le président ukrainien aurait exprimé l'intention d'«occuper des villages russes» près de la frontière pour faire pression sur Moscou, ou encore de «bombarder un oléoduc transportant du pétrole vers la Hongrie».

que doit-on en attendre ?

De l'avis de nombreux experts militaires, la contre-offensive ukrainienne sera «déterminante» pour la suite du conflit. «C'est un "one shot", il n'y en aura pas de deuxième», assure Bruno Clermont. S'il est impossible de prédire le résultat de la contre-offensive, plusieurs signaux donnent à Kiev des raisons d'espérer.

«De manière générale, on sent une certaine fébrilité au sommet de l’Etat russe. On observe des faits encore inédits sous la présidence de Vladimir Poutine à savoir les critiques virulentes des autorités russes émises par certaines personnalités (Evgueni Prigojine, Ramzan Kadyrov, etc.), et la tentative de frappe visant le Kremlin par l’intermédiaire de deux drones. Même au plus fort de la guerre froide, ce n’était jamais arrivé», souligne le chercheur Lukas Aubin sur le site de l'institut Iris. «Côté ukrainien, le moral semble bon. J’ai pu observer qu’il y a cette idée inébranlable que l’Ukraine sortira victorieuse de la guerre», ajoute l'expert, de retour d'Ukraine.

«Depuis 15 mois, s’appuyant sur un renseignement occidental permanent et efficace, les forces ukrainiennes ont démontré en matière d’art de la guerre une supériorité sur les forces russes dont l’apanage reste la puissance brutale et une quantité supérieure en munitions, en particulier pour leur artillerie», abonde le général Clermont auprès de CNEWS.

Si les Ukrainiens semblent avoir repris l'initiative sur le front depuis quelques semaines, la contre-offensive reste une opération dangereuse. «Depuis plusieurs mois, les Russes fortifient leurs positions défensives. Les prendre d’assaut sera plus compliqué que lors des contre-offensives menées l’an dernier par les Ukrainiens dans les régions de Kharkiv et de Kherson, notamment parce que les forces russes sont parvenues à rétablir un semblant d’équilibre numérique vis-à-vis des forces ukrainiennes», expliquait au Monde Léo Péria-Peigné, chercheur à l’Institut français des relations internationales. Tranchées, champs de mines, «dents de dragon»... Les blindés occidentaux auront probablement un rôle crucial à jouer pour percer les lignes russes.

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