La présidence française du Conseil de l’UE s'achève ce jeudi 30 juin après six mois de travaux. Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste des questions européennes, salue un bilan globalement positif malgré l'irruption de la guerre en Ukraine.
La présidence française du Conseil de l’UE a été perturbée dès le 24 février par l’invasion russe de l’Ukraine. Quelles en ont été les conséquences ?
Emmanuel Macron avait fixé trois priorités pour cette présidence : une Europe plus souveraine, un nouveau modèle européen de croissance et une Europe plus humaine. La guerre est venue bouleverser ce programme mais a aussi permis au président de faire avancer cette notion d'Europe de la défense qui lui tient à cœur.
Les Vingt-Sept ont adopté le 25 mars une boussole stratégique qui lance le processus permettant à l'Europe de se doter d'une vraie stratégie de défense européenne. Le sommet de Versailles avait ancré la nécessité de renforcer l'autonomie européenne, de développer une approche coordonnée en matière de stratégie de défense et d'aller plus loin dans la coopération en matière d'armement.
Economie, climat… D’autres domaines ont fait l’objet de réformes sous la présidence française.
Outre les questions stratégiques, des dossiers importants ont connu de grandes avancées. Il y a eu ces directives sur la régulation des géants du numérique, sur le contrôle des contenus haineux et criminels en ligne, le projet sur les salaires minimums, sur la parité dans les conseils d’administration, etc.
Au chapitre climatique, une taxe carbone aux frontières a été adoptée pour imposer les entreprises qui ne respectent pas les normes européennes de protection de l'environnement. C’est une avancée majeure qui correspond aux priorités de l’UE.
Globalement, la France a fait avancer le calendrier législatif et bien tenu son rôle malgré la guerre en Ukraine.
Quels sont à l’inverse les dossiers qui n’ont pas pu aboutir ?
Emmanuel Macron avait mis en avant la nécessité de mieux contrôler les frontières de l’Europe en mettant en place un pilotage politique de l'espace Schengen. Il voulait aussi mettre fin au règlement de Dublin, qui oblige les migrants à déposer leur demande d’asile dans le premier pays européen qu’ils traversent. Le débat a été lancé mais ça n'a pas encore abouti, c'est un processus qui prendra beaucoup de temps.
Le projet d’impôt minimum de 15% sur les bénéfices des multinationales est lui à l’arrêt à cause du véto hongrois.
Sur la question des institutions européennes, la Conférence sur l'avenir de l'Europe initiée par Emmanuel Macron est un succès. Le président français a appelé à la constitution d'une convention de réforme des traités mais cela ne recueille pas l’approbation de tous les pays, notamment de la République tchèque qui va prendre la suite de la France au conseil de l’UE.
Peut-on vraiment changer l’UE en six mois seulement ?
Ce n'est pas en six mois que des problèmes aussi complexes se règlent. Les réformes se font au niveau de la Troïka, les trois pays qui exercent tour à tour la présidence tournante du Conseil de l’UE (France, République tchèque et Suède). Ce trio s’est mis d’accord en amont sur un programme commun. Ce qui compte, ce sont ces 18 mois durant lesquels ces trois pays se coordonnent pour faire avancer l'agenda législatif.
Sur le contenu des réformes, il y a beaucoup d'accords de principe mais il faut maintenant que chaque institution européenne valide, que les modalités d'application soient fixées, que les parlements nationaux transposent la loi... C'est un processus qui prend du temps.
Quelles mesures peuvent avoir des conséquences concrètes pour les citoyens ?
Je pense que la directive sur les salaires minimums va inciter les partenaires sociaux à se rapprocher pour négocier de meilleurs salaires. Ça pourrait avoir des conséquences pour des centaines de milliers de salariés en Europe. C'est un texte important au moment où les Européens subissent les effets de l'inflation et de la vie chère. L'aspect social, le pouvoir d'achat sont les domaines d'action qui touchent le plus les citoyens, avec de plus en plus, la question climatique.
Comment expliquer ce succès de la France ?
La France est un pays fondateur de l'UE, c'est une puissance économique, militaire... Rien ne se fait sans elle. Présidence du Conseil de l’UE ou pas, le rôle de la France est très important et continuera à l’être.
Emmanuel Macron est en train de devenir l'un des chefs d'Etat les plus expérimentés sur la scène européenne. Le Brexit et le vide laissé par le départ d’Angela Merkel a aussi renforcé son leadership. C'est un atout supplémentaire pour la France, avec malgré tout un bémol puisque la majorité du président est fragilisée depuis les législatives.