Il y a tout juste un an, des centaines de partisans de Donald Trump faisaient intrusion dans le Capitole, siège du congrès américain à Washington. Récit d'une journée où la démocratie américaine a vacillé.
Pour comprendre comment les institutions américaines ont pu être attaquées de l'intérieur, il faut remonter plusieurs semaines, voire plusieurs mois en arrière, alors que Donald Trump est en campagne pour sa réélection à la tête des Etats-Unis. Dès l'été 2020, le candidat met en garde contre des risques de fraudes électorales et instille dans son camp l'idée que le scrutin du 4 novembre 2020 est illégitime.
Le leader républicain estime notamment que le système de vote par correspondance, mis en place en raison du contexte sanitaire, donnera lieu à «l’élection la plus inexacte et la plus frauduleuse de l’histoire».
un contexte électrique
Le 7 novembre, trois jours après le vote, Joe Biden est désigné vainqueur de l'élection avec 306 grands électeurs contre 232 pour son opposant. Donald Trump refuse de reconnaître sa défaite. Il y voit la confirmation de ses théories, même si l'agence fédérale de cybersécurité assure que l'élection est «la plus sûre de l'histoire américaine». Son équipe de campagne dépose une avalanche de recours juridiques qui sont portés jusque devant la Cour suprême mais sont tous rejetés.
Le candidat malheureux n'en démord pas et ira jusqu'à faire pression sur le secrétaire d'Etat de Géorgie pour lui demander de «trouver 11.780 voix».
Le 19 décembre, sur Twitter, Donald Trump donne rendez-vous à ses supporters : «Il est statistiquement impossible que nous ayons perdu l'élection de 2020. Grande manifestation à Washington D.C. le 6 janvier. Soyez là, ce sera sauvage !». La date correspond au jour où le Congrès doit certifier le vote du collège électoral et ainsi entériner la victoire de Joe Biden.
Un discours virulent et ambigu
Le jour J, à midi, Donald Trump prononce un discours enflammé à quelques encablures du Capitole. Dénonçant une élection «volée», il s'en prend à ses bouc-émissaires favoris : les médias «fake news», les démocrates «d'ultra gauche» ou encore les géants de la «Big tech». Dans une diatribe belliqueuse, il exhorte ses troupes à se battre «comme des diables» et appelle à plusieurs reprises à «marcher vers le Capitole». Le mot «pacifiquement» n'est utilisé qu'une seule fois en 70 minutes.
«Toute l'ambiguïté du discours est qu'il n'appelle pas à la révolution. Mais ça a été perçu comme tel», analyse pour CNEWS.fr Jean-Eric Branaa, maître de conférence à Paris 2 Panthéon Assas et spécialiste de la politique américaine.
plusieurs heures de violences
Chauffés à blanc, des milliers de militants se dirigent alors vers le Capitole, où le Congrès américain est réuni. Vers 13h (heure américaine), le vice-président Mike Pence fait savoir dans un communiqué qu'il ne s'opposerait pas à la certification de la victoire de Joe Biden, comme le lui demandait Donald Trump. La Chambre des représentants et le Sénat américains ouvrent alors la séance.
Au même moment, une première vague de manifestants renverse les barricades entourant le Capitole puis submerge le faible dispositif policier. Peu après 14h, des émeutiers brisent des vitres du Capitole et pénètrent dans le monument dans une ambiance insurrectionnelle. La séance du Congrès est suspendue.
WATCH: Rioters break windows to enter U.S. Capitol building pic.twitter.com/n9FYMZYvD0
— BNO News (@BNONews) January 6, 2021
A l'intérieur, un policier du nom d'Eugene Goodman s'illustre en tenant tête à un groupe de manifestants qui montent les escaliers et se dirigent vers la salle du Sénat. En gagnant du temps, il permet aux élus de quitter les lieux pour se mettre en sécurité.
Here’s the scary moment when protesters initially got into the building from the first floor and made their way outside Senate chamber. pic.twitter.com/CfVIBsgywK
— Igor Bobic (@igorbobic) January 6, 2021
Donald Trump garde le silence
Loin de calmer les choses, Donald Trump se contente, selon la commission parlementaire chargée d'enquêter sur l'attaque, de suivre les événements à la télévision. Depuis la Maison Blanche, il étrille dans un tweet Mike Pence et pointe son manque de «courage».
Le Capitole est le théâtre de scènes inédites. Des manifestants pénètrent dans l'hémicycle (vide) du Sénat, certains prennent la pose sur le siège réservé à Mike Pence, d'autres saccagent des bureaux de parlementaires.
Dans la cohue, une manifestante, Ashli Babbitt, est touchée par un tir de policier. Trois autres émeutiers perdront également la vie au Capitole : une femme piétinée par la foule, un homme victime d'un arrêt cardiaque et une autre d'un AVC. Du côté des forces de l'ordre, environ 140 policiers seront blessés, de l'ecchymose jusqu'à la commotion cérébrale.
A 15h13, Donald Trump finit par appeler au calme sur Twitter : «Je demande à tout le monde au Capitole de rester pacifique. Pas de violence !». Un peu plus tard, il publie une vidéo dans laquelle il appelle les émeutiers à «rentrer chez [eux]», sans condamner les violences et tout en maintenant que l'élection «était frauduleuse».
le temps de l'enquête
Vers 17h30, la Garde nationale arrive au Capitole et fait sortir les émeutiers. A 20h, le calme est revenu et les parlementaires reprennent leur travail. Dans la nuit, la victoire de Joe Biden est certifiée.
Selon le Washington Post, 187 minutes s'écoulent entre le moment où Donald Trump appelle dans son discours à marcher vers le Capitole et la vidéo d'appel au calme publiée sur Twitter. «En tant que président des Etats-Unis, il a des moyens colossaux à sa disposition et doit être capable de réagir en quelques minutes en cas d'attaque. Mais il n'a pas bougé», souligne Jean-Eric Branaa.
L'enquête doit désormais déterminer comment l'assaut a été organisé. «On sait que les groupes d'extrême droite 'Oath keepers' et 'Proud boys' ont été les meneurs du mouvement. Il pourrait y avoir des ramifications jusqu'aux conseillers les plus proches de Donald Trump, notamment Steve Bannon et Mark Meadows. C'est ce que la commission d'enquête parlementaire essaye de démêler», poursuit Jean-Eric Branaa. Le rapport de la commission, qui sera remis à l'été prochain, doit aussi établir si Donald Trump était au courant ou non de quelque chose.
un traumatisme pour les Américains
Un an après, la journée du 6 janvier reste dans toutes les mémoires. «Un malaise profond subsiste dans la société américaine», estime Jean-Eric Branaa. En effet, les divisions profondes du pays n'ont pas disparu à l'arrivée au pouvoir de Joe Biden. «Heureusement, une majorité d'Américains, républicains et démocrates confondus, condamnent les violences et pensent que cela ne doit plus jamais arriver».
Les rebondissements de l'enquête pourraient nourrir les débats jusqu'aux élections de mi-mandat de novembre prochain, un moment clé pour Joe Biden qui espère conserver une majorité au sein des deux assemblées du Congrès.