C'est le lot de toute grande compétition sportive internationale, et l'Euro 2021 ne déroge pas à la règle. Derrière les rencontres footballistiques, qui ont démarré vendredi soir, les enjeux géopolitiques ne sont jamais loin. Du Brexit au conflit russo-ukrainien en passant par la querelle entre la Macédoine du Nord et la Grèce, les tensions du monde d'aujourd'hui n'épargnent pas le rectangle vert.
Le Conflit entre l'Ukraine et la Russie
Avant même le début de l'Euro, un premier incident diplomatique est venu refroidir l'ambiance festive d'un début de grande compétition post-Covid. Et rappeler à la mémoire de tous l'un des principaux conflits européens actuels, entre l'Ukraine et la Russie. Au centre de la discorde, le maillot porté par les joueurs ukrainiens pour ce tournoi. Y figurent une carte du pays, incluant la Crimée, annexée par la Russie en 2014, et des territoires de l'Est, contrôlés par des séparatistes prorusses, ainsi que les slogans «Gloire à l'Ukraine ! Gloire aux héros !», cri de ralliement des manifestants lors du soulèvement populaire de Maïdan, en 2014, contre le président prorusse Viktor Ianoukovitch.
Des «motifs politiques», qui vont à l'encontre «des principes de base du règlement de l'UEFA sur l'équipement», a dénoncé la Fédération russe de football (RFS) dans une lettre transmise à l'instance européenne à trois jours du début de l'Euro. Cette dernière associant les slogans figurant sur la tunique jaune et bleu à des groupes nationalistes de la Seconde Guerre mondiale qui ont combattu les Soviétiques.
A cette réclamation de la Russie, l'UEFA a répondu par un jugement à la Salomon. Non à la demande russe de retirer la carte de l'Ukraine du maillot, car il s'agit des frontières ukrainiennes reconnues par les Nations unies, oui à celle d'ôter le slogan «Gloire aux héros !», jugé «de nature politique». L'Ukraine a finalement obtenu un compromis de la part de l'organisation : la phrase brodée à l'intérieur du col est conservée mais recouverte d'un tissu représentant une mini-carte de l'Ukraine.
Sur le terrain, l'Ukraine et la Russie ne pourront s'affronter avant les quarts de finale, match qui se déroulerait à Saint-Pétersbourg. Un niveau de la compétition qui, au vu du niveau des deux équipes, paraît difficilement atteignable pour l'une comme pour l'autre. Mais l'hypothèse de voir les deux pays se rencontrer reste imaginable. Ce que l'UEFA tente pourtant à tout prix d'éviter, en les empêchant de figurer dans le même groupe de qualification ou de phase finale de grandes compétitions. Si le scénario d'un Ukraine-Russie en quarts de finale devait devenir réalité, comment réagiraient l'instance internationale et les deux sélections ? La tenue d'un tel match ne serait pas assurée. En 1960, l'Espagne de Franco avait refusé d'affronter l'URSS lors du tout premier Euro de l'histoire.
Le Brexit
Plus qu'un match de football. L'expression d'une rivalité historique - les deux équipes ont disputé la première rencontre internationale de l'histoire en 1872 -, exacerbée par le contexte actuel. Si les joutes footballistiques entre les voisins anglais et écossais sont toujours très attendues, celle de l'Euro 2021, prévue vendredi 18 juin prochain (21h) dans le groupe D, aura un parfum bien particulier. Elle surviendra moins de six mois après la sortie officielle du Royaume-Uni de l'Union européenne, le 1er janvier dernier. Un Brexit qui, des deux côtés de la frontière, n'a pas été accueilli avec le même sentiment.
D'un côté, les Anglais ont été majoritaires à voter en faveur du «Leave» (53,4 %) lors du référendum de juin 2016, quand, de l'autre, les Ecossais se sont largement prononcés pour le maintien dans l'UE (62 %). Ce divorce du club européen, contre leur gré, a attisé les aspirations indépendantistes des Ecossais, dont le gouvernement fait pression sur Londres pour obtenir un nouveau référendum d'indépendance, après un premier vote en 2014 qui avait abouti à la victoire du «non» à 55 %.
Les tensions sur le nom de la Macédoine du Nord
Après près de trente ans de querelle diplomatique entre la Macédoine et la Grèce causée par le nom de l'ex-république yougoslave, les deux pays ont finalement trouvé un accord en 2018, la Macédoine acceptant d'accoler la mention «du Nord» à son nom - la Grèce ayant une région appelée Macédoine -, en échange de la levée du veto grec à ses demandes d'adhésion à l'UE et à l'OTAN. Le changement de nom est devenu officiel début 2019.
Mais voilà que, deux ans et demi plus tard, cette affaire que l'on pensait réglée est remise sur le tapis à l'occasion de l'Euro. La Grèce s'est plainte dimanche de l'acronyme utilisé par la Macédoine du Nord lors de la compétition internationale, la première de sa jeune histoire, qui n'est autre que «MKD», signifiant «Macédoine». L'accord de Prespes interdit au pays d'utiliser cette appellation, selon Athènes, qui a appelé Skopje à adopter un acronyme qui correspond à son nouveau nom. Elle a également exigé de la fédération de football de Macédoine qu'elle change de nom, et envoyé une lettre au président de l'UEFA Aleksander Ceferin pour lui demander d'intervenir. Le gouvernement nord-macédonien a répliqué que la fédération de foot était une association ne recevant pas d'argent de l'Etat et que, dans ce cadre, elle n'avait pas l'obligation de se plier à l'accord de Prespes. La Grèce n'étant pas qualifiée pour l'Euro, cette bataille géopolitique ne s'immiscera pas sur le terrain.
La Turquie d'Erdogan
Les exemples historiques ne manquent pas. Le sport, et le football en particulier, est l'une des armes favorites des dirigeants autoritaires pour asseoir leur pouvoir et leur image à l'international. C'est le cas en Turquie de Recep Tayyip Erdogan, à l'origine de l'émergence du club de Basaksehir Istanbul et qui ne cesse de briguer l'organisation de l'Euro. Pour l'instant sans succès, après cinq échecs consécutifs.
Si le président turc compte sur sa sélection nationale pour être performante et montrer à l'Europe entière les qualités du football turc, il a également une autre idée derrière la tête. Comme le note Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), dans une vidéo diffusée récemment sur sa chaîne YouTube, «on regardera d'un oeil particulier la Turquie, qui a des relations délicates avec plusieurs pays, mais qui est en voie de se raccommoder et de montrer une image moins agressive», après des mois de tensions, notamment avec Emmanuel Macron, sur de nombreux dossiers, tels que la Méditerranée orientale, la Syrie, la Libye ou les caricatures de Mahomet.
Le vice-ministre des Affaires étrangères Faruk Kaymakçi a annoncé la couleur la semaine dernière, lors d'un événement auquel ont pris part les ambassadeurs des autres pays participant à l'Euro, en expliquant qu'Ankara considérait le football comme «l'un des outils de communication les plus importants pour renforcer l'amitié entre les peuples d'Europe», et disant par conséquent vouloir «améliorer les relations (de la Turquie) avec l’Europe dans le domaine du football». «La Turquie, par sa géographie, son art, sa culture, son économie, est européenne. Elle l’est aussi avec son football», a-t-il également déclaré.
Dans sa volonté d'apaisement, le ballon rond aura, on l'a compris, une place prépondérante pour la Turquie. Qui pourrait être inspirée par le beau geste des joueurs iraniens et américains lors de la Coupe du monde 1998, qui avaient posé bras dessus bras dessous avant leur match de phase de groupes. Un symbole de la réconciliation naissante entre Téhéran et Washington après des années de brouille.