Trois ONG de sauvetage en mer sont accusées par une longue enquête des autorités italiennes d’être complices du trafic de migrants, en communiquant directement avec les passeurs pour recueillir les embarcations en Méditerranée.
L’enquête de 651 pages finalisée début mars a pu être consultée par nos confrères suisses du Temps. Selon eux, le document décrit une grande proximité entre les organisations de sauvetage et les trafiquants, qui les avertissent des départs d’embarcations remplies de migrants pour qu’elles soient les premières sur place (plutôt qu’une autre ONG ou un navire des autorités).
Ce rapport pointe trois d’entre elles : Save the children, via le bateau Vos Hestia, Médecins sans frontières, via le Vos Prudence, et Jugend Rettet, via le Iuventa. Elles auraient ainsi «contourné le système de secours mis en place par les autorités italiennes» en collaborant avec des passeurs et des trafiquants d’êtres humains.
Vidéos, messages, écoutes et policier infiltré pour l'enquête
En octobre 2017, la police italienne avait saisi des ordinateurs et des téléphones portables lors de la perquisition du Vos Hestia, affrété par Save the children. Les enquêteurs y ont par exemple retrouvé une vidéo où des passeurs viennent directement informer en mer des membres de l’ONG qu’un bateau de 500 migrants va bientôt arriver depuis les côtes de la Libye. Quelques instants plus tard, les réfugiés sont en effet là et montent dans le navire de sauvetage, sous la houlette d’un homme décrit comme l’organisateur de la manœuvre. Il prendra lui aussi place à bord du bateau affrété par l’ONG et disparaîtra dans la nature au moment d’accoster dans un port italien, rapportent nos confrères.
Un policier a également été infiltré parmi les équipes de sauvetage et a contribué au rapport. De même, un groupe WhatsApp de 69 personnes nommé «Humanitarian SAR» («search and rescue») a largement fourni d'informations à la procédure. Des données GPS y auraient été partagées pour savoir où retrouver des passeurs. Deux employés de Save the children auraient également eu une conversation où l’un explique avoir vu passer «des informations sur des trafiquants», estimant préférable de faire disparaître ces informations.
Des écoutes téléphoniques ont en outre été réalisées. Dans l’une d’elles, datée du 23 mars 2017, un responsable de mission de Médecins sans frontières aurait d’abord refusé de communiquer l’emplacement d’une embarcation de migrants au centre de coordination italien, avant de signaler à un marin qu’un «rendez-vous» au large de la Libye était prévu, demandant de s’approcher de la zone pour 5h du matin, mais pas avant. Une opération de sauvetage y aura finalement lieu, trois jours plus tard.
Les ONG se défendent
L’enquête cible au total 21 personnes. Il s’agit de membres d’équipages et de responsables des ONG, de nationalité italienne, française, allemande, espagnole, belge ou britannique. Les conclusions de l’enquête leur ont été signifiées début mars et ils avaient 20 jours à réception pour répondre au procureur, qui rédigera l’acte d’accusation. Ils encourent de 4 mois à 20 ans de prison.
Médecins sans frontières a rejeté ces accusations dans un communiqué, estimant que les autorités italiennes ont pour but de criminaliser les actes de sauvetage en mer. Elle affirme avoir sauvé plus de 81.000 vies grâce à six bateaux. Save the children se défend également, indiquant au Temps avoir pour seul but de sauver des vies humaines et agir dans le respect de la loi et du droit international.
En mars 2020, l’Organisation internationale pour les migrations avait informé que 20.000 migrants étaient morts en Méditerranée depuis 2014.