En janvier 2018, avant sa visite à l'Elysée, Recep Tayyip Erdogan qualifiait Emmanuel Macron d'«ami». Depuis, les relations entre les deux présidents se sont profondément envenimées, sur fond de divergences sur plusieurs sujets stratégiques. Retour sur cinq dossiers sur lesquels les deux hommes se sont violemment accrochés.
L'islam
C'est la dernière passe d'armes en date entre Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron. Visiblement offensé par les propos du président français mercredi lors de la cérémonie en hommage à Samuel Paty, durant laquelle le locataire de l'Elysée avait défendu les caricatures du prophète Mahomet, le dirigeant turc a accusé samedi Emmanuel Macron d'avoir un «problème (...) avec l'islam et les musulmans». «Tout ce qu'on peut dire d'un chef d'Etat qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c'est : allez d'abord faire des examens de santé mentale», a déclaré Recep Tayyip Erdogan dans un discours télévisé.
Des propos, réitérés ce dimanche, jugés «inacceptables» par l'Elysée, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian dénonçant de la part de la Turquie «une volonté d'attiser le haine». En réponse, l'ambassadeur de France à Ankara a été rappelé à Paris, «pour consultation», un acte diplomatique rare.
Il y a deux semaines, Recep Tayyip Erdogan avait déjà qualifié de «provocation claire» les déclarations du président français sur le «séparatisme islamiste» et la nécessité de «structurer l'islam» en France, alors que le gouvernement présentait un projet de loi sur ce thème. Le président turc avait accusé Emmanuel Macron d'«impertinence» et d'«abus de pouvoir».
Le génocide arménien
En avril 2019, la décision de la France d'organiser une journée de commémoration du génocide arménien le 24 avril, terme que la Turquie réfute, a provoqué le courroux d'Ankara. Le jour-même où Paris rendait hommage aux quelque 1,5 million d'Arméniens tués pendant la Première Guerre mondiale par les troupes de l'Empire ottoman, Recep Tayyip Erdogan a fustigé les «donneurs de leçons», notamment la France, accusée d'être responsable du génocide rwandais en 1994.
«On sait très bien qui a tué 800.000 personnes dans le génocide au Rwanda, les responsables sont les Français», a-t-il affirmé, évoquant également l’Algérie. Trois jours plus tard, le président turc a nommément attaqué Emmanuel Macron, sur le même sujet. «Adresser un message aux 700.000 Arméniens qui vivent en France ne te sauvera pas M. Macron», a-t-il déclaré lors d’un discours devant des responsables de son parti. «Apprends d'abord à être honnête en politique, si tu ne l'es pas, tu ne pourras pas gagner.»
La Syrie
En octobre 2019, profitant du retrait des troupes américaines de Syrie, la Turquie lance une offensive dans le nord-est du pays contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), considérée comme «terroriste» par Ankara mais alliée des Occidentaux dans la coalition anti-Daesh.
Face à cette initiative armée, qui provoque un tollé international, Emmanuel Macron appelle à la «cessation immédiate de l'offensive turque», expliquant craindre «des conséquences humanitaires dramatiques, une résurgence de Daesh dans la région et une déstabilisation durable du nord-est syrien». A l'issue d'un Conseil européen à Bruxelles, le président français qualifie l'opération turque de «faute lourde» et de «folie». Les exportations d'armes vers la Turquie sont suspendues temporairement.
C'est en partie ce comportement unilatéral d'Ankara qui fera dire début novembre 2019 à Emmanuel Macron, dans une interview à The Economist, que l'Otan - dont la Turquie est membre - est en état de «mort cérébrale». Une sortie très commentée à laquelle a violemment répondu Recep Tayyip Erdogan quelques semaines plus tard. «Fais d'abord examiner ta propre mort cérébrale», a-t-il lancé lors d'un discours à Istanbul.
La guerre en Libye
Les tensions sont également fortes entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan au sujet de la Libye, théâtre d'une guerre civile depuis 2014 opposant le gouvernement d'union nationale (GNA) du Premier ministre Fayez el-Sarraj à l'Armée nationale libre (ANL) du maréchal Khalifa Haftar.
Tous deux s'accusent mutuellement d'ingérence et d'être responsables de l'instabilité en Libye - où un accord de cessez-le-feu a été signé ce vendredi. En juin dernier, après avoir déjà dénoncé le «jeu dangereux» de la Turquie en Libye, Emmanuel Macron a pointé la «responsabilité historique et criminelle» d'Ankara, principal soutien international du GNA de Tripoli. Il a notamment accusé le pays d'avoir violé les engagements pris lors de la conférence de Berlin en janvier 2020, en ayant «accru sa présence militaire en Libye et massivement réimporté des combattants jihadistes depuis la Syrie», en violation de l'embargo des Nations unies.
Le lendemain, la Turquie répliquait, par la voix de son chef de la diplomatie Mevlüt Cavusoglu, dénonçant l'approche «destructrice» de la France en Libye et l'accusant de chercher à renforcer la présence de la Russie dans le pays. Ankara accuse en effet Paris d'appuyer secrètement le maréchal Haftar, soutenu par Moscou. «En raison du soutien qu’elle apporte depuis des années aux acteurs illégitimes, la France a une part de responsabilité importante dans la descente de la Libye vers le chaos», avait quelques jours auparavant déclaré le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères.
La Méditerranée
Le 10 août dernier, des tensions ont éclaté entre la Turquie et la Grèce en Méditerranée orientale, après l'envoi par Ankara d'un bateau de recherche gazier, accompagné de navires de guerre, dans des eaux revendiquées par Athènes riches en hydrocarbures. La France a immédiatement apporté son soutien à la Grèce, renforçant sa présence militaire dans la zone.
Début septembre, Emmanuel Macron a exhorté l'UE à parler d'une seule voix et à se montrer «ferme» face à la Turquie en Méditerranée orientale, protestant contre «des comportements inadmissibles». «Le peuple turc qui est un grand peuple mérite autre chose», a également déclaré le chef d'Etat français, dans une allusion apparente au dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan.
«Des déclarations arrogantes, dans un vieux réflexe colonialiste», a fustigé par la suite le ministère turc des Affaires étrangères. Une critique déjà émise par Recep Tayyip Erdogan à l'endroit d'Emmanuel Macron après l'explosion à Beyrouth en août et le déplacement du président français dans la capitale libanaise dévastée, l'accusant de visées «coloniales». Mi-septembre, le président turc a lui-même tenu à répliquer à Emmanuel Macron au sujet des tensions en Méditerranée orientale. «M. Macron, vous n’avez pas fini d’avoir des ennuis avec moi», a-t-il lancé lors d'un discours télévisé à Istanbul, avant de qualifier quelques jours plus tard le président français d'«ambitieux incapable» lors d'une vidéoconférence avec les dirigeants locaux de son parti.