Isabelle Facon est directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de la Russie. Elle explique quel pourrait être le rôle de la Russie dans les manifestations populaires en Biélorussie appelant à la démission du président Alexandre Loukachenko.
Quelles étaient les relations diplomatiques entre la Biélorussie et la Russie avant la réélection de Loukachenko le 9 août dernier ?
La Biélorussie est l’un des pays de l’ex-URSS les plus proches de Moscou. Elle est membre de l’Union économique eurasiatique et de l’Organisation du traité de sécurité collective, deux structures sous le leadership de la Russie. Il existait également une sorte de pacte implicite : la Biélorussie offrait son soutien de fidèle allié géopolitique à la Russie, en échange, celle-ci subventionnait l’économie biélorusse, notamment en vendant à son partenaire de l’énergie à bas prix.
Sur le plan géopolitique, la Biélorussie est considérée par les autorités russes comme un Etat tampon entre son territoire et les membres de l’OTAN. Il y a une assez grande convergence culturelle entre les populations russes et biélorusses, ces dernières sont bien connectées à l’espace informationnel russe.
Mais c’est une relation en demi-teinte depuis 2014. Les événements en Ukraine (en 2014, des tensions éclatent dans le Dombass et en Crimée, alors deux territoires ukrainiens, entre les pro-Européens et les pro-Russes. La Russie est accusée d’avoir soutenue militairement son camp, ndlr) sont un tournant pour beaucoup de pays proches de la Russie. Ils craignent plus la Russie et estiment que ce qui est arrivé à l’Ukraine est un signal inquiétant du point de vue de la souveraineté des Etats post-soviétiques. Une distance s’est installée, et de plus Alexandre Loukachenko a essayé de jouer la « carte russe » dans ses rapports difficiles avec l’Union européenne, au grand dam de Moscou.
Mais contrairement aux événements en Ukraine en 2014, il n’y a pas de sentiment antirusse en Biélorussie. En Ukraine, une partie de la population regardait vers l’Ouest, l’autre vers l’Est.
La Russie et la Biélorussie sont liées par un accord de défense. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La Biélorussie participe à l’Organisation du traité de sécurité collective qui comprend un article comparable à l’article 5 de l’OTAN : une menace extérieure contre l’un des Etats membres est reconnue comme une menace pour les autres membres. Alexandre Loukachenko a récemment fait allusion à cela quand il a mentionné le soutien qu’il pourrait attendre de la Russie, ainsi sans doute qu’au traité de défense bilatéral signé en 1998.
Quelles sont les relations personnelles entre Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine ? Ce dernier a été l’un des premiers à reconnaître la réélection de Loukachenko.
Ce n’est pas la grande passion. Loukachenko a beaucoup freiné l’intégration avec la Russie, il est un interlocuteur difficile pour Moscou, a fortiori depuis 2014. Peu avant l’élection, Alexandre Loukachenko a mis en scène l’arrestation de mercenaires russes en agitant le spectre de l’ingérence de Moscou dans le scrutin. Cela n’a pas plu aux autorités russes. Il est revenu sur ces déclarations et a renvoyé en Russie les mercenaires. Aujourd’hui il joue la carte de l’ingérence des pays de l’OTAN pour attirer l’attention de Poutine.
Certaines rumeurs font état de déplacements de troupes russes à la frontière biélorusse. Quelle crédibilité donner à ces informations ?
Personnellement, je serais prudente sur ces rumeurs même s’il faut se préparer à toutes les hypothèses. Beaucoup de gens peuvent avoir un intérêt à faire courir ces bruits : les uns pour appeler à une réaction plus engagée des Européens, les autres pour faire peur aux manifestants.
Quelles sont les options possibles pour la Russie ?
Ces événements présentent un double risque pour Moscou : d’abord, sur un plan géopolitique, ce n’est pas dans son intérêt que la Biélorussie bascule dans le clan pro-occidental (même si, encore une fois, la dimension d’opposition entre l’Ouest et l’Est présente en Ukraine en 2014 ne l’est pas ici). Pour Moscou, la Biélorussie est stratégique dans le rapport de force avec l’OTAN. Ensuite, politiquement, le Kremlin peut voir dans ces manifestations appelant à la démission d’un dirigeant corrompu et au pouvoir depuis 26 ans le risque d’une «contagion» à la société russe.
Ceci dit, une intervention militaire pour réprimander les manifestants ne paraît pas l’option la plus crédible à ce stade. Les Russes n’ont pas envie de réitérer ce qui s’est passé en 2014 en Ukraine, ne serait-ce que parce qu’il n’existe pas de sentiment antirusse en Biélorussie.
Les Russes pourraient être tentés d’attendre, de regarder de près ce qui se passe et de négocier avec les forces politiques en présence pour assurer leurs intérêts, selon un scénario plus proche de ce qui s’est produit en Arménie il y a quelques années que du «scénario ukrainien». Enfin, est-ce que la Russie pourrait offrir à Loukachenko une porte de sortie en l’invitant à l’exil ? Peut-être, mais il y a un risque, celui d’apparaître aux yeux des Biélorusses comme l’hôte du président qu’ils ont chassé. Autre option, un rôle plus actif, la Russie pourrait se positionner en médiateur, seule ou avec d’autres.