Une explosion de joie, mais un arrière-goût amer. Le navire humanitaire Ocean Viking a reçu dimanche l'autorisation de débarquer 180 migrants en Sicile, provoquant une scène de liesse parmi les rescapés, mais les tensions des derniers jours ont laissé des traces indélébiles.
«Nous avons reçu l'instruction des autorités maritimes italiennes de débarquer les rescapés à bord à Porto Empedocle (sud de la Sicile). Le navire fait route en ce moment vers ce port que nous pensons rallier d'ici demain (lundi) matin», a expliqué son affréteur SOS Méditerranée à l'AFP, dont un journaliste est embarqué à bord.
Sur le pont du bateau-ambulance, qui avait recueilli à son bord ces Pakistanais, Bangladais, Nord-Africains ou encore Ghanéens lors de quatre opérations les 25 et 30 juin, l'annonce a suscité embrassades, applaudissements, chants, et selfies, qui ont fait oublier l'espace de quelques minutes l'extrême tension qui y régnait, au point que l'Ocean Viking avait dû se placer en état d'urgence vendredi, une première.
«On est très heureux! On vient de loin, la Libye a été un enfer et maintenant on voit enfin le bout. J'ai hâte de pouvoir prévenir ma famille que je suis vivant», exulte Rabiul, 27 ans, originaire du Bangladesh, pays le plus représenté à bord.
Sur le navire, les migrants dansent, dessinent «Thanks Ocean Viking» sur leur t-shirt, sautent dans les bras des membres de l'équipage de SOS Méditerranée qui, quelques jours plus tôt, était menacé d'agression par une minorité d'entre eux, qui n'avaient pas non plus hésité à sauter par-dessus bord en signe de désespoir après plus d'une semaine de blocage en mer.
«Ca n'a pas été facile», concède Emmanuel, un Ghanéen de 32 ans qui condamne et veut oublier ces épisodes. «Aujourd'hui, c'est une grande joie. SOS Méditerranée a sauvé nos vies et nous a redonné un espoir qu'on avait perdu», explique-t-il en lâchant un instant son tam-tam.
«Maintenant, une deuxième vie s'ouvre devant nous, après tout ce qu'on a connu en Libye. Merci à l'Italie de nous offrir la deuxième, et à SOS d'avoir sauvé la première», lance-t-il.
Quarantaine
Autour du tam-tam aussi, l'attroupement de Nord-Africains et autres groupes contraste avec les tensions raciales des derniers jours. D'ailleurs, juste derrière eux, les Noirs Africains ont ressenti le besoin de placarder un dessin sur lequel on peut lire «Black Lives Matter»... sous-titré en arabe.
A leur arrivée en Sicile, ces 180 personnes seront transférées «à bord du Moby Zaza», un ferry amarré dans le port de Porto Empedocle pour y être placés en quarantaine durant deux semaines, a affirmé dimanche à l'AFP le ministère italien de l'Intérieur.
Quinze minutes à peine après l'annonce du débarquement, dont l'attente avait provoqué tant de tension, le calme était déjà revenu sur le bateau.
«Je n'ai jamais vu une fête qui se termine aussi vite après ce genre d'annonce, ils sont épuisés», confie Maggie, responsable des questions humanitaires.
«C'est un soulagement», résume Charlie, un marin-sauveteur suédois, qui résume le sentiment de la petite équipe de 22 membres de SOS Méditerranée. Les tensions étaient telles qu'il n'était pas rare, ces derniers jours, de retrouver certains d'entre eux en pleurs, dans un couloir, ou, à bout de force, endormis sur le pont lors de rondes qui ont été doublées en raison des craintes pour la sécurité.
Nicholas Romaniuk, responsable des opérations de secours à bord, confie que c'est la première fois qu'il décide de «ne pas baisser la garde jusqu'à ce que les personnes soient débarquées».
«On sera soulagés quand ce sera fait. Pour l'instant, on doit rester attentifs. Les problèmes psychologiques de certains restent les mêmes. Donc on maintient la vigilance», explique-t-il.
Parti lundi de Marseille, son port d'attache dans le sud de la France où il était resté amarré trois mois en raison de la crise sanitaire liée au coronavirus, la reprise de l'activité de l'Ocean Viking s'est faite dans un contexte de forte reprise des traversées de la Méditerranée centrale.
«On pensait que le plus difficile ce serait de gérer le Covid» durant cette mission, sourit un marin. «Et nous voilà en état d'urgence.»