La signification des mots évolue sans cesse en fonction de leur utilisation au quotidien. «Indigène» en est un exemple parfait puisque, s'il décrit traditionnellement une population originaire du pays où elle vit, des manifestants antiracistes l'utilisent aujourd'hui de manière à défendre leurs idées.
Cela provient notamment du Parti des Indigènes de la République (PIR), qui promeut la lutte contre les inégalités liées à la couleur de peau en France. Ils ont notamment choisi ce nom pour défendre «les Noirs, les Arabes et les musulmans», cantonnés «à un statut analogue à celui des indigènes dans les anciennes colonies : marginalisation politique, stigmatisation de nos cultures et religions (notamment dans les médias), brutalités policières au faciès, discriminations à l’emploi, au logement, à l’école, répression de l’immigration et des habitants des quartiers, etc.», d'après leur site internet.
«Il y a une réappropriation et une resignification du terme, c'est-à-dire le fait de changer le sens d'une insulte, pour en faire un étendard d'identité et se l'approprier», explique Marie-Anne Paveau, professeure en science du langage à l'université Paris 13. Le nom «queer», utilisé dans la communauté LGBT, est un autre exemple connu de ces réappropriations raconte la chercheuse.
Cela est d'autant plus efficace qu'indigène est un mot qui a une «mémoire coloniale forte», selon la spécialiste. Elle explique que si ce terme est connoté négativement, ce n'est pas seulement de manière «psycho-sociologique», mais parce que les indigènes possédaient administrativement «un statut spécial au sein même de l'Algérie française ou au Maroc», fixé par le Code de l'indigénat.
Un mouvement critiqué
Dès leur création en 2005, les fondateurs du PIR parlaient par exemple d'un concept aujourd'hui connu comme le «privilège blanc». Un terme qui fait désormais débat dans les sphères politiques et médiatiques. Plutôt situé à l'extrême gauche de l'échiquier français, ce mouvement ne jouit cependant pas d'une grande popularité auprès de la classe politique, notamment en raison de polémiques autour d'accusations d'antisémitisme de certains membres.
À tel point que les critiques des manifestations antiracistes parlent aujourd'hui des «indigénistes». Marine Le Pen a par exemple utilisé ce terme, estimant que sa nièce était tombé dans un «double piège», à savoir «celui des indigénistes, des racialistes», lorsque celle-ci avait déclaré ne pas vouloir s'excuser d'être blanche.
Loin d'être une simple référence à un mouvement, le terme indigéniste est une critique en soi. «C'est un grand classique qui fait que vous allez produire le nom d'un courant dévalorisé en ajoutant "isme". On le voit par exemple dans la querelle de l'école, lorsque les professeurs qui proposent de nouvelles formes de pédagogie sont appelés les pédagogistes par les plus conservateurs sur le sujet», assure Marie-Anne Paveau.
Un terme trop fort ?
Les reproches qui sont faits au PIR de la part de leurs opposants sont notamment d'encourager le racisme en faisant la distinction entre les Blancs et les non-Blancs, pour dénoncer un racisme systémique dans la société française. Le mouvement répond que «Blanc» renvoie avant tout à l'organisation du pouvoir dans les sociétés, jugée oppressive contre les non-Blancs, et non pas aux individus et leurs couleurs de peau.
À noter cependant que le mot indigène est avant tout utilisé par le PIR, et pas nécessairement par les autres mouvements antiracistes comme le comité «la vérité pour Adama». Selon Marie-Anne Paveau, il est en effet «tellement fort, tellement idéologique et surtout tellement diabolisé» que s'en réclamer n'est pas anodin. Cela n'empêche pas des liens, notamment lors des récentes manifestations en France, malgré des critiques entre les différents courants.