Du jamais vu. Le cours du baril de pétrole américain a brutalement dégringolé ce lundi 20 avril, passant sous le seuil de zéro dollar pour la première fois de son histoire, terminant même la séance à -37,63 dollars. La conséquence d'une chute de la demande d'or noir liée à la pandémie de Covid-19, couplée à une quasi-saturation des stocks.
La crise du coronavirus, qui a provoqué le confinement de plus de trois milliards de personnes à travers le monde, a fait s'effondrer la demande de pétrole mondiale, en clouant les avions au sol, diminuant l'usage de la voiture et paralysant l'activité économique de la plupart des entreprises. «Le problème c'est qu'en ce moment dans le monde, personne ne conduit de voiture», a résumé à sa manière le président américain Donald Trump. «Les usines sont fermées et les commerces sont fermés.»
«Personne actuellement n'a besoin de pétrole», confirme Jean-Marie Chevalier, professeur émérite de sciences économiques à l'Université Paris-Dauphine et spécialiste des énergies. Sur le mois d'avril, la demande devrait chuter de 29 millions de barils par jour par rapport à 2019, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), pour atteindre des niveaux jamais vus depuis 1995. «Et les capacités de stockage atteignent leurs limites», poursuit Sophie Méritet, maîtresse de conférence en sciences économiques à Paris-Dauphine, soulignant que «même les oléoducs servent actuellement d'infrastructures de stockage».
En effet, malgré la chute de la demande, la production de pétrole se poursuit, car il est techniquement et économiquement difficile d'arrêter un puits. Il faut également stocker l'excédent de pétrole déversé dernièrement sur le marché par l'Arabie saoudite, à la suite de la guerre des prix ayant opposé le royaume à la Russie début mars, qui a finalement abouti à un accord de réduction de la production d'or noir début avril.
Des stocks presque pleins
«Les Etats-Unis, en tant que marché enclavé, ont les plus importants problèmes de stockage», explique Jasper Lawler, analyste pour London Capital Group, cité par l’AFP. «La demande est tellement inférieure à l'offre que les réserves pourraient déjà avoir atteint 70 % à 80 % de leurs capacités», a-t-il ajouté. A Cushing, dans l'Oklahoma, où se trouve l'un des dépôts pétroliers les plus importants des Etats-Unis, les réserves ont bondi de 48 % depuis fin février, pour atteindre 55 millions de barils, sur une capacité totale de 76 millions, selon un rapport de l'Energy Information Administration. Il ne reste donc de la place que pour 21 millions de barils.
D'où la dégringolade historique du prix du baril de pétrole coté à New York (le WTI, West Texas Intermediate). Une situation inédite qui s'explique également par le fonctionnement du marché du pétrole américain. Pour cette marchandise, les échanges se font via des contrats à terme. Concrètement, les acheteurs et les vendeurs se mettent d'accord sur un prix, mais pour une livraison à une date future. Le contrat pour une livraison en mai de pétrole américain expirant mardi à la clôture de la séance, les investisseurs ont tout fait lundi pour se débarrasser de leurs barils, n'ayant nulle part où les stocker. Ce qui explique le cours devenu négatif, les propriétaires de pétrole étant prêts à payer pour se défaire de leurs stocks.
Difficile de prédire si cette baisse va se poursuivre, selon les spécialistes. Mardi matin, le cours du baril de WTI a rebondi en Asie et est repassé au-dessus de zéro. Mais, selon Jean-Marie Chevalier, les prix de l'or noir devraient «rester bas jusqu'à ce que la demande redémarre, au moins jusqu'au milieu de l'été», anticipe-t-il, la baisse de la production de 10 millions de barils par jour décrétée au début du mois par la Russie et l'Arabie saoudite, avec d'autres pays, n'étant selon lui pas suffisante pour compenser l'effondrement de la demande.
Un impact sur les prix des carburants
Cette chute record du prix du pétrole américain pourrait être une bonne nouvelle pour les consommateurs, qui pourraient la ressentir sur les prix des carburants. «Mais pas dans une semaine», devance Sophie Méritet. En effet, «tandis que la hausse des prix se répercute vite à la pompe, ce n'est pas le cas des baisses», note la maîtresse de conférences à l'Université Paris-Dauphine, rattachée au Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières (CGEMP).
La tendance à la baisse des prix à la pompe devrait en tout cas se poursuivre dans les prochaines semaines, alors que le prix du gazole, carburant le plus vendu en France, s'est replié pour la huitième semaine d'affilée, valant en moyenne 1,2132 euro par litre la semaine dernière (-20 centimes en deux mois), un niveau qui n'a plus été vu depuis 2017. «Mais les prix ne tomberont pas en dessous de zéro», affirme dans un sourire Jean-Marie Chevalier. Ceux-ci ne dépendent en effet pas seulement des cours du pétrole, mais aussi des taxes (environ 85 centimes par litre de gazole) et des coûts de distribution. Sans compter que les prix à la pompe se basent principalement sur le prix du baril de pétrole de la mer du Nord, le Brent, qui valait encore autour de 20 dollars mardi midi.