Sur les ghats de Varanasi, la fumée continue des bûchers funéraires picote habituellement les yeux. Mais avec le confinement de l'Inde pour lutter contre la pandémie de coronavirus, les berges du Gange de cette ville sacrée se sont vidées de leurs vivants comme de leurs morts.
En raison d'un confinement national en place depuis fin mars dans le pays de 1,3 milliard d'habitants, les corps d'hindous décédés à travers l'Inde et venant se faire incinérer à Varanasi (Uttar Pradesh, nord) n'arrivent plus jusqu'aux fameux ghats, ces quais en escaliers qui tombent dans le fleuve.
De 200 à 300 corps brûlés quotidiennement en temps normal, seules 30 à 40 funérailles de locaux s'y tiennent désormais chaque jour. Dans la croyance hindoue, être incinéré à Varanasi permet la libération de l'âme et la sortie du cycle des réincarnations.
«Nous n'avons pas arrêté de travailler», explique à l'AFP Jagdish Chaudhary, un responsable des crémations du ghat Manikarnika, principal lieu de funérailles hindoues de la ville, «mais aucun d'entre nous n'avait vu de notre vivant une telle baisse et les ghats déserts le long du fleuve».
Cet homme de 51 ans appartient à la caste des doms, les gardiens du feu et gérants des ghats de crémation de Varanasi. Les corps y brûlent en continu, de jour comme de nuit, depuis des siècles.
Les doms préparent les bûchers et passent la torche de paille au chef de la famille du défunt, vêtu de blanc et au crâne préalablement rasé, pour qu'il l'enflamme. Le feu consumé, les cendres du mort sont ensuite jetées dans le Gange.
Les doms se relaient 24 heures sur 24 pour s'assurer que les bûchers brûlent correctement, y ajoutant davantage de bois ou du beurre clarifié si nécessaire pour le raviver.
Ils dépendent principalement des donations d'argent ou de nourriture des familles endeuillés. Mais avec le confinement, seule une poignée de proches vient aujourd'hui participer à chaque crémation, contre plusieurs dizaines, voire centaines, auparavant.
«Même lors des pires calamités et violences, la ville et ses ghats de crémations n'ont jamais eu l'air aussi calme», constate Jagdish Chaudhary.
Le ralentissement de l'activité lui permet de rentrer chez lui le soir, au lieu de passer la nuit à entretenir les feux. «Tout le monde prie les dieux pour que le coronavirus s'en aille», confie-t-il.
Pèlerins bloqués
S'étirant sur près de cinq kilomètres le long du fleuve, les ghats de Varanasi grouillent en temps normal de vaches errantes, d'ascètes hindous, de pèlerins shivaïtes et de touristes indiens comme étrangers.
Avec le confinement national en vigueur en Inde depuis le 25 mars, et actuellement en place jusqu'au 3 mai, les transports publics du pays sont à l'arrêt, laissant des dizaines de milliers de personnes bloquées loin de chez elles.
C'est le cas de Naga Bhushan Rao, un pèlerin de 64 ans venu de l'État d'Andhra Pradesh (sud), incapable de quitter Varanasi, située à plus de mille kilomètres de son domicile.
«Je suis venu ici avec la famille de mon frère pour prier dans les temples de Shiva. Mais le confinement a été annoncé peu après que nous sommes arrivés ici», explique par téléphone à l'AFP ce chauffeur de camion.
Depuis plusieurs semaines, il partage donc la chambre d'une auberge avec six membres de sa famille: «nous n'aurions jamais pensé que notre séjour ici serait si long», témoigne-t-il.
La situation s'éternisant, nombre de voyageurs sont à court d'argent. Des habitants les aident en distribuant un peu de nourriture. Certains hôtels ont arrêté de leur faire payer leur chambre.
Des membres d'ONG locales ont réussi à fournir à Naga Bhushan Rao les médicaments dont il a besoin pour un problème de foie.
«Il y a tellement de familles», indique à l'AFP Narsingh Das, un responsable de la municipalité de Varanasi. «Nous essayons de nous assurer que que toutes les personnes bloquées dans les différents hôtels et auberges ont accès à ce dont elles ont besoin.»