Alors que la production de pétrole continue de couler à flots, malgré l'effondrement de la demande en raison du confinement, Donald Trump a évoqué sur Twitter, jeudi 2 avril, un possible accord entre l'Arabie Saoudite et la Russie sur une baisse de 10 millions de barils. Résultat : le cours de l'or noir, jusqu'ici en berne, s'est envolé de près de 30 % avant de ralentir sur un démenti du Kremlin.
«Je viens de parler à mon ami MBS (le prince héritier Mohammed Ben Salmane, NDLR) d'Arabie Saoudite, qui s'est entretenu avec le président russe Poutine», a ainsi d'abord fait savoir le locataire de la Maison Blanche dans un premier message.
«J'espère et je m'attends à ce qu'ils réduisent d'environ dix millions de barils de pétrole, et peut-être nettement plus jusqu'à 15 millions de barils. Ce serait une excellente nouvelle pour tout le secteur pétrolier et gazier», a-t-il précisé dans un second tweet.
Just spoke to my friend MBS (Crown Prince) of Saudi Arabia, who spoke with President Putin of Russia, & I expect & hope that they will be cutting back approximately 10 Million Barrels, and maybe substantially more which, if it happens, will be GREAT for the oil & gas industry!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) April 2, 2020
Si Donald Trump n'a pas apporté plus de détails sur ces chiffres, ne précisant notamment pas s'ils concernaient la production par jour, ils ont néanmoins eu pour effet de faire flamber le baril de brut léger américain de 33 % à 27,3 dollars le baril (25 euros environ), d'après les chiffres du site spécialisé Bourse direct.
De son côté, le Brent de mer du Nord s'est même envolé de près de 40 % à 34,3 dollars le baril (31,62 euros).
Toutefois, après cette déclaration du Président américain, le Kremlin a indiqué que Vladimir Poutine n'avait pas parlé au prince héritier saoudien, réduisant du même coup les ardeurs des marchés, jusqu'alors en pleine ascension.
Des barils par-dessus la tête
Reste que les déclarations de Donald Trump, et le démenti qui a suivi du Kremlin, illustrent parfaitement la guerre des prix qui se joue actuellement entre les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite et la Russie, respectivement premier, deuxième et troisième plus gros producteurs de pétrole au monde.
Couvant depuis plusieurs mois, celle-ci a éclaté dans le contexte de la pandémie de coronavirus et du confinement. Car si les déplacements sont aujourd'hui restreints sur la moitié de la planète, faisant chuter la demande en or noir et autres dérivés, l'offre, elle, a continué d'abonder, notamment en raison d'une certaine volonté à ne pas vouloir pénaliser l'économie.
En début de semaine, le président Donald Trump le reconnaissait d'ailleurs lui-même, comme l'explique un article des Echos. «C'est la plus grande réduction d'impôts que nous ayons jamais accordée, si vous voyez les choses sous cet angle, car les gens vont payer 99 cents pour un gallon d'essence (soit 0,25 euro le litre, NDLR)» et cela «va aider les compagnies aériennes», a mis en avant le dirigeant américain.
Mais au moment où le Covid-19 cloue les avions au sol, et surtout au regard du fait que 90 % de la population américaine est désormais confinée, c'est surtout «préjudiciable» à l'industrie pétrolière et a fortiori celle des Etats-Unis, comme il a fini par le reconnaître, plaidant finalement pour une hausse du cours du brut.
The thirst for oil has evaporated. That could mean a supply glut so epic that the world will soon run out of room to store all the unneeded barrels of oil. https://t.co/EPvRtgCE4v
— CNN Business (@CNNBusiness) April 1, 2020
Autre problème, soulevé cette fois par CNN : cette surabondance en or noir a également pour effets d'engendrer des problèmes de stockage qu'il convient urgemment de régler.
Concrètement, sans voitures à faire rouler ou avions à faire voler, le monde pourrait n'avoir plus de place pour entreposer les innombrables barils de pétrole inutiles qui ne cessent de s'accumuler.
Les installations de stockage, les raffineries, les terminaux, les navires et les pipelines sont en effet en passe d'atteindre leur capacité maximale, ce qui ne s'est pas produit depuis 1998, selon le cabinet Goldman Sachs.
Une occasion d'accélérer la transition verte ?
La chute de la demande de pétrole provoquée par la pandémie de coronavirus, combinée à une guerre des prix sauvage, laisse donc l'industrie pétrolifère en très mauvaise posture, voire même en mode de survie, selon plusieurs analystes.
Une fois la crise passée, la demande devrait repartir à la hausse, du moins dans un premier temps ne serait-ce que pour liquider les stocks de bruts accumulés en surplus, mais une question clé est de savoir si cette pandémie peut se faire modifier de façon permamente la consommation mondiale d'or noir à long terme, dans un contexte de crise climatique.
Comme l'explique le quotidien britannique The Guardian, cela n'est pas totalement impossible. Pour des raisons économiques notamment car les cours du brut s'éffondrant, plusieurs puits pourraient ne plus être exploités en raison des coûts de transport des barils, désormais beaucoup plus hauts que leur production.
Le choc pétrolier en cours frappe en outre une industrie qui se réoriente déjà vers les énergies renouvelables alors qu'une soixantaine de pays, dont la France, se sont engagés à atteindre zéro émission de carbone à l'horizon 2050. Ce faisant, la crise actuelle pourrait accélérer le processus.
Enfin, si après la crise financière de 2008, il y avait eu de grands espoirs déçus après que des milliards d'argent public n'ont pas réussi à verdir l'économie comme cela était attendu, la donne a changé douze ans plus tard. «La grande différence par rapport à 2008 est que le coût des énergies renouvelables est désormais inférieur à celui de nombreux combustibles fossiles. Il ne sert donc plus à rien de continuer à les exploiter», confie au journal britannique Kingsmill Bond du groupe de réflexion indépendant Carbon Tracker, dont la mission est de fournir aux décideurs une analyse approfondie de l'impact du changement climatique sur les marchés des capitaux et des investissements dans les combustibles fossiles.