Avec plus de 180 satellites déjà placés en orbite pour un total qui pourrait atteindre 42.000 d'ici à 2030, Starlink est aujourd'hui l'un des plus ambitieux programmes spatiaux privés de la décennie.
Avec cette mégaconstellation de satellites de télécommunication, SpaceX entend apporter un accès à Internet sur toutes les parties du globe. Pourtant, plusieurs voix s'inquiètent et craignent un scénario catastrophe proche de celui imaginé par Donald J. Kessler qui imaginait dès 1978 un accroissement exponentiel des débris en orbite basse empêchant par là-même la possibilité d'aller explorer l'espace durant plusieurs siècles.
Bientôt 26 fois plus de satellites qu'aujourd'hui ?
Il faut souligner que durant les dix prochaines années, admirer les étoiles et la voûte céleste permettra de voir un véritable «train cosmique», sous certaines conditions. Ce qui fut déjà le cas en décembre dernier dans l'Aude, où plusieurs habitants ont été témoins de la traînée lumineuse reflétée par une centaine de satellites Starlink. Si ceci n'est pas nouveau et même régulier, ce type d'observations devrait toutefois devenir encore plus commun.
Et le ciel du futur s'annonce encombré avec de nombreux «embouteillages» au-delà des nuages. Alors que la Terre recense actuellement plus de 2.200 satellites artificiels actifs en orbite (5.360 en comptant ceux qui ne fonctionnent plus), les projets spatiaux de ce type pourraient en ajouter plus de 57.300 à l'avenir, soit 26 fois plus, si l'on se fie aux demandes de fréquences déposées par les opérateurs auprès de la FCC (Federal communications commission) et l'Union internationale des télécommunications.
Des chiffres à relativiser
Toutefois, ce chiffre est à relativiser. Car il n'y en aura pas autant en orbite. «En réalité, les opérateurs préfèrent déposer un maximum de demandes de fréquence afin de s'assurer d'en avoir au moins une pour chacun de leur satellite, ce qui est obligatoire lorsqu'on veut mettre en orbite un satellite de télécommunications. Une fois qu'une fréquence est attribuée, l'opérateur est sûr de pouvoir la conserver pour cinq ans, mais si le satellite n'est pas lancé elle est perdue et peut potentiellement être récupérée par un concurrent», souligne Christophe Bonnal, expert senior à la direction des lanceurs du CNES.
Car aux 12.000 objets du réseau Starlink, SpaceX a déposé une demande de fréquence pour en lancer 30.000 de plus si ce marché estimés à plusieurs milliards d'euros fonctionne bien, auxquels il conviendra d'ajouter les près de 2.000 prévus via le projet OneWeb, ainsi que les 3.200 du Project Kuiper d'Amazon. L'objectif est donc de couvrir près de 100 % de la surface terrestre afin d'offrir un accès au très haut débit jusque dans les endroits les plus reculés du globe, sans passer par un réseau filaire classique.
© SpaceX
Reste que ces ambitieux projets ne sont pas sans soulever de nouveaux problèmes. Le plus visible d'entre eux, mais pas le plus inquiétant, concerne le travail des astronomes, dont les observations pourraient être perturbées par les débris spatiaux. Enfin, un autre sujet délicat évoque également tous les problèmes juridiques qui s'en suivent.
Une nouvelle pollution visuelle
Starlink satellites during a meteor shower on Nov. 22. pic.twitter.com/wJVk1qu49E
— Patrick Treuthardt, Ph.D. (@PTreuthardt) November 25, 2019
Dans la nuit du 21 au 22 novembre dernier, plusieurs voix se sont élevées chez les astronomes qui cherchaient à observer une pluie d'étoiles filantes, gâchées par l'observation des satellites Starlink qui zébraient la voûte céleste (comme le montre la vidéo ci-dessus). Depuis, plusieurs scientifiques et astrophysiciens tirent la sonnette d'alarme en craignant de voir à l'avenir leur travail d'observation totalement pollué par ces mégaconstellations.
Volant en orbite basse, ils peuvent en effet refléter la lumière du soleil et compliquer fortement la tâche d'observation. Reste que le combat des astronomes ne pourra pas aboutir en leur faveur, sur le plan légal du moins : «aucune règle n'existe en la matière, ils peuvent se plaindre, mais ne peuvent rien faire», commente Julien Mariez, chef du service juridique du CNES. Seuls des efforts peuvent être attendus de la part des opérateurs. C'est ainsi que SpaceX a lancé récemment un satellite peint en noir afin de tester s'il gênait moins que les autres satellites de Starlink. En outre, des discussions sont engagées au niveau international afin de changer la réflectivité des structures de satellites.
L'épineux problème des collisions
Le sujet intrigue autant qu'il inquiète. Et si tous ces satellites finissaient par entrer en collision et que leurs débris provoquaient une réaction en chaîne incontrôlable ? Si le sujet peut sembler alarmant, là encore il convient de relativiser ce point, bien que cette probabilité ne soit jamais nulle.
Les opérateurs doivent suivre un code de bonne conduite et démontrer qu'ils sont capables de suivre cinq règles élémentaires : il est interdit de générer volontairement des débris spatiaux, il faut tout mettre en œuvre pour éviter d'exploser en orbite, un satellite ne doit pas rester plus de 25 ans dans une orbite basse (inférieure à 2.000 km d'altitude), éviter les collisions dans la mesure du possible et éviter de tuer quelqu'un au sol lors de la retombée.
«Lorsqu'ils constituent leur dossier pour obtenir leur fréquence, les opérateurs veillent à démontrer qu'ils sont capables de manœuvrer leurs satellites à la fois pour éviter les collisions internes entre leurs propres satellites, mais aussi à communiquer avec les autres opérateurs afin de procéder à des manœuvres d'évitement entre eux, souligne Christophe Bonnal. En 2018, les experts chargés de cette question basés à Toulouse ont enregistré pas moins de 3 millions de messages de rapprochement en ce sens».
Le problème le plus délicat est en réalité la mise en orbite de ces megaconstellations. «Il faut à la fois faire monter ces satellites et les faire redescendre et ceux-ci peuvent croiser d'autres objets spatiaux, comme la station spatiale internationale par exemple», rappelle Christophe Bonnal. SpaceX a notamment choisi de déployer ses satellites à 550 km d'altitude, de quoi croiser l'ISS. «Afin de faciliter leur montée, ils sont d'abord lancés sur une orbite basse, l'idée étant de vérifier leur fonctionnement et si tout est OK, on les fait monter à l'altitude requise», précise-t-il.
Toutefois, Elon Musk, grand patron de SpaceX, s'est montré très intéressé par le fait de rester à 350 km. Un choix qui peut s'avérer tactique dans ce marché des télécommunications, puisqu'en installant une flotte de satellites à cette altitude, le célèbre milliardaire peut faire gagner quelques millisecondes à Starlink pour communiquer avec la Terre. De quoi profiter d'une technologie qui pourrait coiffer la concurrence au poteau, lorsqu'il s'agit pour les organismes financiers d'être le plus rapide possible pour donner leurs ordres d'achats au sein d'une place boursière toujours plus connectée. Un choix qui pourrait devenir le nerf de la guerre, surtout lorsque l'on sait que son premier rival, OneWeb, a choisi de placer sa constellation à une orbite de 1.200 km.
Vers une nouvelle réglementation française d'ici à 2022
Parallèlement, les mégaconstallations posent de nouvelles questions juridiques pour le droit international. «Ces projets ont émergé très vite, or, mettre en œuvre une loi sur la question prend du temps. A l'heure actuelle, il y a peu de contraintes techniques spécifiques aux constellations imposées par les Etats à leurs opérateurs», constate Julien Mariez, qui souligne que la France veut compléter sa réglementation spatiale en la matière d'ici à 2022, afin d'imposer des règles techniques claires.
«Parallèlement, les Etats-Unis sont plutôt vertueux à ce sujet, ajoute-t-il. Le risque est donc de se retrouver face à des pays moins vertueux, qui autoriseraient des opérateurs à exploiter des constellations sans réelles exigences techniques». Il y a donc un enjeu de régulation internationale. «L'ONU doit mettre en œuvre un droit international applicable, mais il est difficile de trouver un consensus et d'imposer des règles contraignantes. Il convient donc d'imaginer des lignes directrices consensuelles qui soient suivies», explique-il. «Enormément de simulations ont été faites pour éviter les collisions et si les opérateurs de ces constellations respectent les règles internationales, alors cela ne devrait pas poser de problème. Tous ces acteurs doivent être responsabilisés», conclut Christophe Bonnal.