Une marée humaine a envahi vendredi le centre d'Alger pour conspuer le nouveau chef de l'Etat élu, Abdelmadjid Tebboune, un ex-fidèle du président déchu Abdelaziz Bouteflika, au lendemain d'un scrutin très largement boycotté par les Algériens.
M. Tebboune, 74 ans, a été élu dès le premier tour de la présidentielle, avec 58,15% des suffrages, selon l'Autorité nationale des élections (Anie).
«Je remercie tous les Algériens pour la grande confiance qu'ils m'accordent, et je vous invite tous à être vigilants et engagés pour construire ensemble la nouvelle Algérie», a-t-il tweeté.
M. Tebboune a fait carrière au sein de l'appareil d'Etat algérien, notamment au côté de M. Bouteflika qui en fera très brièvement son Premier ministre, avant une brutale disgrâce. C'est le premier président de l'Algérie à ne pas être issu des anciens combattants de la Guerre d'indépendance contre le pouvoir colonial français (1954-1962).
Le scrutin a été marqué par une abstention record et boycotté par un «mouvement» («Hirak») de contestation populaire inédit en Algérie depuis l'indépendance en 1962, qui a contraint en avril M. Bouteflika à la démission, après 20 ans à la tête de l'Etat.
«Le vote est truqué. Vos élections ne nous concernent pas et votre président ne nous gouvernera pas», scandaient les manifestants qui ont défilé nombreux à Alger en ce 43e vendredi de mobilisation depuis le déclenchement du «Hirak» en février.
Selon une journaliste de l'AFP, la mobilisation a été comparable à celle de vendredi dernier, lorsqu'une foule immense avait défilé dans le centre de la capitale pour rejeter le scrutin.
Les contestataires ont commencé à se disperser dans le calme en fin d'après-midi.
Sur les pancartes on pouvait lire: «Tebboune, ton mandat est un mandat mort-né» ou «Votre président ne me représente pas».
Pour le sociologue Nacer Djabi, "Tebboune va démarrer avec un grand handicap de légitimité. Même si le scrutin n'est pas falsifié, les Algériens n'ont plus confiance".
«Pire que Bouteflika»
«Tebboune, c'est pire que Bouteflika. Il est connu pour avoir fait partie des voleurs. On n'a pas voté et on ne fera pas marche arrière», a déclaré à l'AFP Meriem, fonctionnaire de 31 ans.
Manifestants et internautes moquent le «président cocaïne», allusion à un fils d'Abdelmadjid Tebboune en détention provisoire dans une affaire de trafic d'influence liée à la saisie de 700 kg de cocaïne dans un port algérien en mai 2018.
A Oran (ouest), une manifestation a été interdite et, selon un journaliste local, «les policiers ont tabassé et ramassé plein de monde».
Le nouveau président doit tenir sa première conférence de presse vers 17H00 GMT dans un centre de conférence d'Alger.
Il a devancé l'islamiste Abdelkader Bengrina (17,38%), Ali Benflis (10,55%), Azzedine Mihoubi (7,26%) et Abdelaziz Belaïd (6,66%), tous anciens proches ou alliés de M. Bouteflika. Ses rivaux ont concédé leur défaite et n'ont pas l'intention de contester les résultats.
Premier chef d'Etat étranger à réagir, le président français Emmanuel Macron a «pris note» de l'élection d'Abdelmadjid Tebboune et appelé les autorités à engager un «dialogue» avec le peuple algérien,
Aucun des cinq candidats n'a trouvé grâce aux yeux du «Hirak», qui les considèrent tous comme des purs produits d'un régime abhorré.
Les résultats définitifs seront publiés entre le 16 et le 25 décembre, après examen d'éventuels recours.
«Les résultats? On leur a ajouté de la levure pour qu'ils augmentent», raille Farida, une retraitée sexagénaire, pour dénoncer la manipulation, selon elle, des chiffres de la participation. «La saison 2 du 'Hirak' va commencer mais il faut que l'on soit mieux organisé.»
«Not My President»
Sur Twitter, où démarre une campagne sur le thème «Not My President», le hashtag du jour est «#Le_Hirak_continue», en arabe.
L'Anie a légèrement revu le taux de participation à 39,83%, le plus faible de l'histoire des scrutins présidentiels pluralistes en Algérie. Il est inférieur de plus de 10 points à celui du précédent - le plus faible jusqu'ici -, qui en 2014 avait vu la 4e victoire de M. Bouteflika.
Les contestataires continuent d'exiger la fin du «système» aux manettes depuis l'indépendance et le départ de tous les anciens soutiens ou collaborateurs de M. Bouteflika.
Après une première tentative d'élection avortée en juillet, le haut commandement de l'armée, pilier du régime, ouvertement aux commandes depuis le départ de M. Bouteflika, a tenu coûte que coûte à organiser ce scrutin pour sortir de la crise politico-institutionnelle, qui a aggravé la situation économique.
Le vote s'est déroulé sans incident majeur à travers le pays sauf dans la région traditionnellement frondeuse et majoritairement berbérophone de Kabylie, théâtre de troubles.
«Ô Kabyles, on est fier de vous. A Tizi Ouzou (ndlr: grande ville de Kabylie), l'Etat est à genou», chantent les manifestants à Alger.