Un obus s'est écrasé samedi matin près de la maison du leader chiite irakien Moqtada Sadr qui soutient les manifestants antigouvernementaux, victimes dans la nuit d'une tuerie à Bagdad.
Dix-sept manifestants ont été tués et une centaine blessés par des hommes armés non identifiés qui ont tenté de les déloger du parking où ils se trouvaient depuis des semaines, selon des médecins.
Alors que les forces de l'ordre, déployées autour de la place Tahrir, épicentre de la contestation depuis plus de deux mois, n'ont pas réagi, des membres du mouvement de Moqtada Sadr se sont déployés pour «protéger» les manifestants.
Ce que les protestataires appellent désormais «le massacre de Senek» - du nom du pont proche de Tahrir où les violences ont eu lieu - a suscité un choc national.
En réponse, les manifestants ont afflué plus nombreux encore samedi sur Tahrir et les places du sud du pays, gagné par la contestation.
L'attaque de la nuit a marqué un tournant dans le premier mouvement de contestation spontané d'Irak, déjà marqué par 445 morts et 20.000 blessés. Depuis deux mois, des milliers d'Irakiens conspuent sur Tahrir le pouvoir, accusé d'incompétence et de corruption, ainsi que son parrain iranien.
Les forces de l'ordre déployées alentour avaient déjà tiré à plusieurs reprises sur la foule, faisant des dizaines de morts. Mais vendredi soir, quand des hommes armés ont débarqué, elles n'ont pas bougé.
Les salves de tirs se sont enchaînées et les manifestants n'ont pu que se tourner vers les réseaux sociaux pour diffuser les images du chaos, parfois en direct.
L'Etat assure ne pouvoir ni identifier ni arrêter les assaillants dans un pays où les factions armées pro-Iran n'ont cessé de gagner en influence et sont désormais intégrées aux forces de sécurité.
Crainte du pire
Des sources policières disent toutefois avoir collecté des informations sur la volonté de ces factions d'attaquer les manifestants.
Face à ces assaillants, des membres des Brigades de la paix, le bras armé de Moqtada Sadr qui a été le premier à exiger la démission du gouvernement, se sont déployés sur Tahrir.
Vendredi soir à Bagdad, ces hommes portant des casquettes bleues ont perdu un homme, selon une source au sein des Brigades, mais n'ont pas répliqué par des tirs, ayant pour ordre de «protéger les manifestants, mais sans armes».
Selon un manifestant, certains brandissaient des bâtons et des cocktails Molotov.
Peu après les violences de Bagdad, «vers trois heures du matin, un drone a tiré un obus de mortier sur la maison de Moqtada Sadr» dans la ville sainte chiite de Najaf, au sud de Bagdad, a indiqué une source au sein du mouvement sadriste.
«Seul le mur extérieur a été touché», a toutefois précisé cette source, alors que Moqtada Sadr ne se trouvait pas à Najaf au moment de l'attaque, selon plusieurs sources. Aucun blessé n'a été recensé.
Pour les protestataires, qui ont déjà brûlé des dizaines de sièges des partis et des factions armées partout dans le pays, le «massacre de Senek» fait redouter le pire.
En solidarité avec les victimes de Tahrir, des centaines de nouveaux manifestants y ont afflué dans la nuit, a rapporté un manifestant à l'AFP.
«Je suis arrivé après les violences et il y avait des tonnes de gens», affirme-t-il. «La police était là, mais personne ne m'a fouillé».
Victimes enterrées à Najaf
Ailleurs dans le sud gagné par la révolte, les manifestants se rassemblaient par milliers en solidarité avec Tahrir à Nassiriya et à Diwaniya, ont rapporté des correspondants de l'AFP, faisant également état d'importants déploiements des forces de sécurité.
Najaf s'apprête, elle, à accueillir les enterrements des manifestants tués à Bagdad.
Après des années passées à renforcer son influence en Irak, Téhéran est désormais en première ligne dans les négociations politiques, mais aussi plus exposé que jamais à la colère des manifestants qui veulent mettre à bas le système tout entier, ses politiciens avec.
Le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite d'Irak, a appelé vendredi à préserver le futur gouvernement --qui doit remplacer d'ici 10 jours celui d'Adel Abdel Mahdi-- des «interférences étrangères».
Il s'est surtout dégagé de toute responsabilité vis-à-vis du cabinet à venir, affirmant ne jouer «aucun rôle» dans sa nomination, actuellement négociée sous l'égide de deux émissaires de Téhéran, le général Qassem Soleimani et le dignitaire chiite en charge du dossier irakien au Hezbollah libanais, Mohammed Kaoutharani.