Alors que s'ouvre ce lundi à Madrid la 25e réunion annuelle de l'ONU sur le climat, plus communément appelée COP25, Isabelle Autissier, navigatrice et présidente du WWF France, salue la mobilisation de la jeunesse sur le sujet, qui d'après elle pourrait pousser les hauts dirigeants à faire davantage pour la protection de la planète.
A quoi va servir la COP25, qui démarre ce lundi à Madrid ?
C'est ce qu'on appelle une COP intermédiaire. Lors de la COP21, en 2015, il a été prévu que les engagements des pays en termes de réduction des émissions de CO2 soient revus à la hausse en 2020, au cours de la COP26. En effet, ceux-ci amènent la planète sur une trajectoire de réchauffement d'environ 3 °C d'ici à 2100 par rapport à la période préindustrielle [alors que l'accord de Paris vise 2 °C voire 1,5 °C, NDLR]. Mais cela ne se fait pas en un claquement de doigts. Donc il faut en discuter. C'est là l'enjeu de cette COP25. D'autant plus que l'on n'est pas du tout dans les clous de la COP21. Les engagements, qui déjà étaient insuffisants, ne sont pas tenus, notamment par les pays industrialisés, qui sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Mais, à mon avis, il ne faut pas attendre de grandes décisions ou résolutions de cette COP, qui est une grosse mécanique, composée de 195 Etats. Sans compter que l'organisation est très complexe cette année [l'Espagne a remplacé au pied levé en tant qu'hôte le Chili, qui a renoncé à accueillir la COP25 en raison de la crise sociale qui secoue le pays, NDLR].
Les rapports alarmants sur le réchauffement climatique se succèdent, mais les Etats ne semblent pas avoir encore pris en compte la gravité de la situation. Restez-vous optimiste malgré tout sur nos chances de respecter l’accord de Paris ?
Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Il n'y a malheureusement pas de raison d'être optimiste, et cela ne sert à rien d'être pessimiste. On ne va pas terminer une guerre, cela ne va pas être tout blanc ou tout noir. Cela va être plus ou moins gris. De cela va dépendre plus ou moins de souffrances des êtres humains. De toute façon, il faut se battre, il faut faire le maximum le plus vite possible. Si on est pessimiste, on dit : «C'est fini, on ne va pas y arriver, on va tous mourir.» Mais alors, on ne fait rien. C'est totalement contre-productif. Chaque dixième de degré que l'on empêche de monter, c'est peut-être ce qui va nous permettre un jour de nous en tirer un peu moins mal.
En tant que navigatrice, vous voyagez beaucoup à travers le monde sur les mers et les océans. Avez-vous déjà été le témoin des effets concrets du réchauffement climatique ?
Oui, car je navigue plutôt dans les régions polaires, que ce soit au Sud ou au Nord. Le Nord est particulièrement affecté, c'est très net. Lors d'un de mes voyages, je me suis orientée grâce à une carte marine qui datait d'il y a 40 ans, sur laquelle était dessiné un fjord, avec un glacier. Lorsque je suis arrivée à cet endroit, j'ai fait 10 milles de plus, c'est-à-dire 18 kilomètres, avant de trouver le glacier. Mais il n'y a pas besoin d'aller au pôle Nord pour voir cela. Il suffit d'aller au mont Blanc, de voir la canicule à Paris cet été, les inondations à répétition dans le sud de la France, ou les gens qui manquent d'eau dans le Massif central, pour observer les conséquences du réchauffement.
Les jeunes détiennent-ils la clé pour faire bouger les choses ?
Oui, je le pense. Aujourd'hui, les gens qui sont aux postes de grande responsabilité sont challengés par leurs propres enfants. On entend de plus en plus la phrase : «J'ai une Greta Thunberg à la maison.» C'est nouveau et c'est dérangeant pour eux. En effet, quand leurs propres enfants leur disent «Papa, Maman, tu nous pourris la vie, je ne veux pas d'enfants car je ne veux pas qu'ils vivent dans un monde pareil», cela leur met une claque. Et puis beaucoup de jeunes aujourd'hui ne veulent pas travailler dans une grande entreprise car ils trouvent que cela n'a pas de sens. Ils veulent faire autrement, car ils savent que c'est leur vie qui est en jeu. Je pense que cette révolte de la jeunesse pèse.
Et en dehors du mouvement de la jeunesse, qu’est-ce qui pourrait pousser les Etats à agir davantage pour la planète ?
On dit souvent que les citoyens ont deux cartes dans leur jeu : la carte d'électeur et la carte de crédit. Ce qui peut faire bouger les grandes entreprises, c'est que la consommation change. Quant à la carte d'électeur, pourquoi pensez-vous que le gouvernement actuel s'intéresse aux questions environnementales de manière apparemment plus poussée ? C'est forcément un peu lié aux résultats des élections européennes, et au score des Verts [le parti Europe Ecologie-Les Verts est arrivé en troisième position des élections européennes en mai, avec 13,5 % des voix, NDLR]. Dans les sondages, les questions environnementales sont devenues la préoccupation numéro un des Français, devant le chômage, le pouvoir d'achat, l'immigration, etc.
Quelles sont aujourd’hui les solutions à privilégier pour réduire massivement les émissions de CO2 ?
Les solutions, on les connaît. On en a des milliers, c'est ça la bonne nouvelle. Les secteurs qui émettent le plus de gaz à effet de serre sont les transports, le logement, les entreprises et l'agriculture. Il faut par exemple défavoriser le transport individuel au profit d'un transport collectif, voire pas du tout de transport. Mais dans un esprit de justice sociale. C'est ce qui n'a pas marché avec la taxe carbone. Sur le logement, on doit faire disparaître les passoires thermiques. Quant aux entreprises, il faut exiger d'elles qu'elles fassent des bilans carbone, des bilans de leur empreinte sur la biodiversité et de leurs rejets en tous genres. Enfin, sur l'agriculture, il faut sortir de cette agriculture ultra-productiviste qui utilise énormément d'intrants, de pétrole, de tracteurs, d'engins agricoles, d'engrais, pour revenir à une agriculture de qualité, sans doute plus paysanne, qui peut-être produit un peu moins. Mais on ne fait pas de «l'agribashing» contre les agriculteurs, on dit seulement que la mécanique qui pousse les agricultures à utiliser de plus en plus de pesticides est une vision qui va dans le mur. C'est ça le problème, pas les agriculteurs.