Des dizaines de milliers de Libanais ont formé dimanche une chaîne humaine le long de la côte du pays, sur 170 km du nord au sud, pour afficher leur unité et une détermination intacte à chasser la classe politique malgré les tensions qui montent.
Le pari impliquait selon les estimations la mobilisation de quelque 100.000 personnes, au 11e jour d'un soulèvement populaire inédit.
Rejoignant à pied, en voiture, à vélo ou à moto l'autoroute qui longe le pays en bord de Méditerranée, hommes, femmes et enfants se sont retrouvés pour se tenir la main en agitant des drapeaux libanais.
Sur l'emblématique corniche de Beyrouth qui longe la mer, l'hymne national est repris à pleins poumons. Des milliers d'autres manifestants se sont regroupés place des Martyrs, le coeur névralgique du soulèvement, pour reprendre leurs slogans favoris : «Révolution, révolution!», «Le peuple veut la chute du régime!»
«La chaîne humaine est un succès», s'est réjouie dans l'après-midi Julie Tegho Bou Nassif, 31 ans, professeure d'Histoire co-organisatrice de cet «exploit» sans précédent qui s'est déroulé sans incident.
«Nous nous aimons»
«L'idée est de montrer que, du nord au sud, de Tripoli à Tyr, nous sommes et resterons unis. Nous ne sommes qu'un peuple et nous nous aimons», s'enthousiasmait une autre organisatrice présente sur la corniche.
Les rassemblements avaient atteint un pic dimanche dernier, avec des centaines de milliers de manifestants dans tout le Liban, et les protestataires espéraient profiter de ce nouveau jour de repos pour réaliser leur objectif.
Cette démonstration pacifique semblait d'autant plus importante que des incidents parfois violents ont eu lieu ces derniers jours entre des manifestants et des militants du Hezbollah pro-iranien.
Des échauffourées ont en outre éclaté samedi après-midi entre l'armée et des protestataires près de Tripoli, la grande ville du nord. Un bilan de source médicale faisait état dimanche de sept blessés, alors que l'armée a reconnu que des balles en caoutchouc avaient été tirées.
Malgré ces signes de tension, des rassemblements festifs ont de nouveau réuni ce week-end des milliers de personnes à Beyrouth, à Tripoli et dans d'autres villes.
Paralysie du pays
La révolte a été déclenchée le 17 octobre par l'annonce surprise d'une taxe sur les appels via la messagerie WhatsApp.
Elle a été vite annulée mais la colère ne s'est pas calmée contre la classe dirigeante, jugée unanimement incompétente et corrompue dans un pays qui manque d'électricité, d'eau ou de services médicaux de base 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990).
Le bras de fer qui se prolonge entre la rue et le pouvoir a paralysé le pays, notamment à cause des nombreux barrages routiers. Le pouvoir n'a jusque-là fait aucune concession significative, semblant jouer le pourrissement d'un mouvement sans leader.
L'armée, envoyée à plusieurs reprises pour lever les barrages, a le plus souvent renoncé face à la détermination des manifestants. Elle avait même fraternisé mercredi avec la foule dans des scènes reprises en boucle sur les chaînes de télévision et qui ont ému tout le pays.
Dimanche matin, comme chaque jour, des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants ont pris possession du coeur de Beyrouth pour nettoyer les lieux de rassemblements. Certains avaient dormi sur place sous des tentes, visiblement déterminés à rester aussi longtemps qu'il le faudra.
La diaspora libanaise se mobilise elle aussi pour apporter son soutien au soulèvement, avec des rassemblements qui ont eu lieu à Paris, Londres ou à Amsterdam.