Figure emblématique de la lutte contre les violences sexuelles, Shiori Ito tente de briser les tabous sur un sujet encore extrêmement sensible au Japon. Portrait d'une femme qui éveille les consciences de tout un pays.
En avril dernier, «La Boîte noire», le livre coup de poing de Shiori Ito, était publié en France, deux ans après sa sortie au Japon. Dans cet ouvrage, la jeune femme de 30 ans raconte comment elle aurait été agressée sexuellement par Noriyuki Yamaguchi, directeur d'une grande chaîne de télévision nippone.
Erigée en porte-parole des victimes de viol au Japon
Shiori Ito a suivi des études de journalisme à l'Université de New-York, avant de retourner au Japon pour exercer sa profession. Un avenir brillant se dessine pour la jeune femme, alors âgée de 26 ans, jusqu'au 3 avril 2015, où tout bascule. Droguée à son insu, elle se réveille dans la chambre d'hôtel de Noriyuki Yamaguchi, et réalise qu'elle est en train de subir une agression sexuelle. Si Shiori Ito a toujours affirmé avoir imploré son agresseur d'arrêter, l'accusé, lui, assure pourtant que la jeune femme était consentante.
Très puissant au Japon, Noriyuki Yamaguchi est également un intime du Premier ministre. Sans surprise, la plainte de la journaliste est classée sans suite.
Shiori Ito décide alors de consacrer sa vie à faire entendre la voix des victimes de viol au Japon, animée par un sentiment d'injustice. «Au Japon, une victime de viol est censée demeurer prostrée chez elle, terrassée par la honte. Mais moi, pour réussir à survivre à tout cela, j'ai eu besoin de me battre», confiera-t-elle dans les colonnes de Grazia.
Interviews, conférences de presse... La jeune femme multiplie les interventions pour briser les tabous et décrit notamment les difficultés rencontrées par les victimes au Japon pour obtenir une pilule du lendemain ou tout simplement pour porter plainte.
En pleine ère #MeToo, elle crée #WeToo, l'équivalent du mouvement social féminin relancé en 2017 après l'affaire Weinstein. «Je veux parler à visage découvert pour toutes les femmes qui ont peur de le faire parce qu'ici au Japon, ni la police, ni la justice ne soutiennent les victimes de crimes sexuels», explique-t-elle.
Faire évoluer la mentalité et le systeme judiciaire japonais
Pour Shiori Ito, l'urgence est de changer les mentalités au Japon vis-à-vis des victimes. «Le plus frappant, c'est que les gens étaient davantage choqués par le fait que j'en parle publiquement que par le viol lui-même. On me disait 'Mais pourquoi tu as fait ça ?'. Comme si c'était moi qui avait fait quelque chose de mal». Pour certains, la journaliste n'aurait jamais dû accepter de prendre un verre avec son agresseur.
Dans un sondage de la NHK qu'elle évoque dans son livre, 11% des personnes interrogées voient ce rendez-vous comme un signe de consentement sexuel.
Selon un sondage paru dans le quotidien Nikkei, une japonaise sur deux a été victime de harcèlement sexuel au travail, mais seulement 35% d'entre elles l'ont signalé à leur supérieur. Dans un pays où l'âge de la majorité sexuelle est fixé à 13 ans, 95% des viols ne sont pas déclarés et seulement 4% sont suivis d'une plainte.
Shiori Ito, qui vit désormais à Londres et exerce en tant que journaliste freelance, espère un jour retourner vivre dans son pays. Elle sera jugée au mois de juillet dans l'affaire qui l'oppose à son agresseur, qui lui réclame 1 million de dollars pour diffamation.