Le cimetière a été déplacé deux fois, l'ancienne école est déjà submergée et la nouvelle connaîtra bientôt le même sort si l'érosion continue à dévorer les terres du petit village de Napakiak, dans le sud-ouest de l'Alaska.
«Ici, le changement climatique, on l'affronte tous les jours», lâche Walter Nelson, élu municipal de Napakiak, l'une de ces dizaines de communautés indigènes isolées dont l'existence même est menacée par la hausse des températures qui frappe l'Etat le plus vaste des Etats-Unis.
«Le trait de côte ne cesse de reculer, bien plus vite que les prévisions, et on doit constamment s'écarter de la rivière pour aller plus en hauteur», explique-t-il à une équipe de l'AFP en lui faisant visiter ce village de 350 habitants -pour la plupart des Esquimaux Yupiks- niché dans les méandres du fleuve Kuskokwim.
Il pointe du doigt tout autour les maisons et autres bâtiments de Napakiak, beaucoup sur pilotis, touchés par cette érosion fulgurante et par la fonte du permafrost, cette couche de sol auparavant gelée tout au long de l'année qui recouvre une grande partie de la surface de l'Alaska.
«C'est une course contre la montre permanente. L'épicerie, la caserne des pompiers et un bâtiment municipal sont actuellement sur la liste des bâtiments à déplacer en priorité», souligne Walter Nelson. «L'école est la suivante, mais on ne pourra pas la bouger. On devra l'abattre et en reconstruire une nouvelle».
Records de douceur
Le même scénario se reproduit dans toutes les communautés côtières d'Alaska, dont la plupart ne sont pas accessibles par la route, sauf en hiver en roulant sur les rivières gelées, de moins en moins praticables en raison de l'élévation des températures.
A Newtok, sur la côte ouest de l'Etat, 350 personnes devront ainsi abandonner leur village cet été pour s'exiler dans un nouveau, près de quinze kilomètres plus loin.
A Quinhagak, bien plus au sud, sur la mer de Bering, 700 personnes se préparent à se mettre à l'abri de la montée des eaux. «Nous avons déjà bougé à deux reprises. La dernière fois, c'était en 1979», se souvient Warren Jones, président de l'organisation locale regroupant les Yupiks.
«Mais l'érosion va trop vite et maintenant, on prépare le terrain pour le nouveau site, qui sera plus loin de l'eau», souligne-t-il.
Selon les scientifiques, l'Alaska subit un réchauffement deux fois plus rapide que la moyenne du globe. Des records de douceur y ont été battus en février et en mars.
De «1901 à 2016, les températures moyennes aux Etats-Unis ont augmenté d'un degré Celsius, tandis qu'en Alaska, elles ont gagné 2,6 degrés», relève Rick Thoman, expert du Centre d'évaluation et de politique du climat de l'Alaska.
«Cela affecte de manière disproportionnée les communautés rurales d'Alaska, dont l'existence même est menacée à long terme», ajoute le spécialiste, pour lequel il suffirait d'une seule tempête pour rendre certains villages inhabitables.
Cercueils métalliques
Napakiak, perdu au milieu d'une toundra désespérément plate et criblée de petits lacs, est accessible uniquement par bateau, à l'aide de petits avions, ou via les rivières gelées en hiver.
Depuis dix ans, Harold Ilmar est employé à plein temps pour protéger le village des inondations provoquées par les tempêtes et l'érosion du lit du fleuve.
Il déplace en moyenne chaque année cinq structures vers des lieux situés plus en hauteur et tente tant bien que mal de colmater les brèches dans les berges à l'aide de sacs de sable et de bâches en plastique.
«C'est un travail permanent et durant les urgences, je travaille même le week-end», assure-t-il. «Je pense que ce serait mieux si on déplaçait juste le village en hauteur, par là-bas», dit-il en montrant un promontoire situé à environ 1,5 km de la berge.
Comme beaucoup de leurs homologues indigènes, les élus de Napakiak ont multiplié les allocutions dans diverses conférences, sillonnant les Etats-Unis ces dernières années pour sonner l'alarme sur le changement climatique et leurs villages engloutis.
«On se tue à dire aux gens de venir ici, pour voir ça de leurs yeux», se désole Walter Nelson. «On ne peut pas comprendre ce qui se passe en restant au téléphone».
En attendant, le village s'adapte de son mieux. On a commencé à y utiliser des cercueils métalliques, plus résistants que ceux en bois. De nombreux corps ont en effet été endommagés lorsque les deux cimetières précédents ont été recouverts par les eaux.
«A présent, on a deux fosses communes remplies de restes de gens que nous n'avons pas pu identifier», regrette l'élu, qui craint fort que lui et ses administrés ne s'ajoutent à la liste des réfugiés climatiques dans le monde.
«On pensait que 2016 et 2018 étaient les années les plus chaudes, mais 2019 est en train de battre tous les records... Qui sait ce qu'on subira dans les dix ans qui viennent», soupire-t-il.