«Les réfugiés amènent la criminalité en ville», accuse un tract électoral : en Allemagne, l'extrême droite instrumentalise chaque fait divers impliquant des étrangers. Un moyen efficace pour distiller son discours dans un pays chamboulé politiquement par l'arrivée de plus d'un million de migrants.
L'Alternative pour l'Allemagne (AfD) compte lors des élections européennes répéter cette recette qui lui a permis de devenir depuis 2017 la première force d'opposition au Parlement fédéral, dans un pays où l'extrême droite était quasi inexistante depuis la Seconde Guerre mondiale.
«L'Allemagne ne peut plus accueillir de migrants», assène à l'AFP Jorg Meuthen, tête de liste AfD pour les Européennes, avant d'affirmer: «le nombre d'attaques au couteau, viols, violences contre les femmes sont proportionnellement davantage perpétrés par des personnes issues d'une culture musulmane que par des "personnes d'ici"».
Au vu des statistiques de la police, 38,6% des «actes délictueux violents» ont été commis par des étrangers en 2018. Mais dans le même temps la criminalité a atteint son plus bas niveau depuis la réunification de l'Allemagne.
«Chaque fait divers impliquant des étrangers, surtout migrants, est monté en épingle et généralisé», estime Miro Dittrich de la fondation contre le racisme Amadeu Antonio.
Cela a commencé à l'origine avec les agressions sexuelles de dizaines de femmes lors de la nuit de la Saint Sylvestre 2015 à Cologne, attribuées pour l'essentiel à de jeunes demandeurs d'asile et qui avaient choqué le pays. Le point de départ de l'essor de l'ultradroite nationale.
Cela a continué deux ans plus tard avec l'assassinat à coups de couteau d'une adolescente allemande de 15 ans par son ex-petit ami afghan dans une droguerie de la petite ville de Kandel, près de la frontière française. Des mois durant, l'AfD locale y a organisé des manifestations pour dénoncer la politique migratoire d'Angela Merkel.
Ce fut encore le cas à Chemnitz en Saxe fin août 2018 à la suite d'un meurtre à l'arme blanche d'un Allemand, pour lequel un demandeur d'asile syrien est actuellement jugé. Cette région est un bastion de l'AfD, qui a dans la foulée battu le pavé à plusieurs reprises contre les migrants.
Des affaires parfois inventées
Si ces affaires criminelles sont bien avérées, d'autres sont créés de toute pièce pour alimenter un climat anxiogène et dépeindre tous les demandeurs d'asile musulmans comme des tueurs ou violeurs de femmes en puissance.
Un blog d'extrême droite dépeint la vie des femmes allemandes «depuis l'invasion» comme faites d'agressions sexuelles et de meurtres. Un billet prétend que le corps d'une femme a été jeté dans un fossé après avoir été violentée par un migrant.
Retweetée des milliers de fois, l'histoire était falsifiée : le suspect fut rapidement identifié comme un proche de la victime.
La police saxonne a accusé le parti de diffuser «des fake news incendiaires, infâmes et simplistes».
«C'est une vieille méthode de communication: peu importe le message, à la fin il restera toujours quelque chose dans la tête des gens», analyse M. Dittrich.
«Une ex-membre de l'AfD a expliqué comment le parti maniait l'information. Si cela s'avère faux (...) ils sont prêts à faire des raccourcis, sortir les éléments de leur contexte ou simplement mentir ouvertement», ajoute-t-il.
A Chemnitz et à Cottbus, un photomontage prétendant montrer 16 femmes ayant toutes été «agressées» en Europe par des migrants ou des musulmans est brandi lors des cortèges de l'AfD. Même s'il est avéré qu'il s'agit d'un faux.
«Selon moi, ces images étaient celles de femmes victimes d'attaques», persévère Christoph Berndt, représentant de l'association patriotique «Zukunft Heimat» qui organise mensuellement des manifestations à Cottbus appelant le gouvernement à «fermer les frontières».
Théorie du «grand remplacement»
Et pour lui la crainte d'une bonne partie de la population d'être envahie par des migrants musulmans est bien réelle, elle.
«On ne doit pas oublier pourquoi ces manifestations ont eu lieu», ajoute ce membre récent de l'AfD, partisan de la théorie du «grand remplacement», une théorie qui affirme que des «immigrés extra-européens» se substituent progressivement aux peuples européens dits «de souche».
Les campagnes à répétition sur la criminalité des immigrés sont-elles politiquement payantes pour son parti? Elles l'ont longtemps dopé. Mais l'effet semble à la longue se tasser: l'AfD n'est créditée que de 10 à 11% dans les derniers sondages, loin des 15% de l'automne dernier.