Abou Bakr al-Baghdadi, l'homme le plus recherché au monde, a perdu son «califat» autrefois grand comme la Grande-Bretagne, et se terrerait aujourd'hui dans le désert syrien, alors que Daesh, défait territorialement, n'est plus qu'un groupe épars de cellules clandestines.
Celui qui a un jour présidé aux destinées de sept millions d'habitants, dans de larges pans de la Syrie et près d'un tiers de l'Irak, ne dirige plus aujourd'hui que des troupes disloquées qui ne peuvent elles-mêmes le localiser.
Antithèse de Ben Laden
Certes, les Etats-Unis offrent 25 millions de dollars pour sa capture, mais ce chef jihadiste de 47 ans apparaît comme l'antithèse d'un de ses prédécesseurs, Oussama Ben Laden, chef d'Al-Qaïda traqué sans relâche durant des années et tué en 2011 par les forces spéciales américaines au Pakistan.
«Demandez à n'importe qui dans la rue en Europe ou aux Etats-Unis +Qui est Baghdadi?+, vous n'obtiendrez aucune réaction, alors qu'avec Ben Laden, la terreur était là», avancent hauts gradés occidentaux et responsables irakiens.
La coalition anti-EI elle-même affirme avoir pour objectif premier la fin du «califat» et non la capture ou la mort de son chef.
Diabétique et blessé au moins une fois, l'Irakien, dont la mort a été évoquée à plusieurs reprises, prend désormais plus que jamais les traits de son surnom, le «fantôme».
Entourage minimal
Après avoir survécu à plusieurs attaques aériennes, «il n'est plus entouré que de trois personnes», affirme à l'AFP Hicham al-Hachémi, spécialiste des mouvements jihadistes.
«Son frère Joumouaa, plus âgé que lui, son chauffeur et garde du corps Abdellatif al-Joubouri, qu'il connaît depuis l'enfance, et son estafette, Seoud al-Kourdi».
Ensemble, ils sont dans la badiya, une zone désertique allant du centre de la Syrie à l'Irak, poursuit l'expert. C'est là que son fils Houdhayfah al-Badri a été tué en juillet 2018, fauché dans la grotte où il se cachait par trois missiles russes téléguidés.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance arabo-kurde qui amené les combats contre l'EI dans l'est de la Syrie, elles, disent ne pas avoir «d'informations sur une présence de Baghdadi en Syrie».
L'homme, né dans une famille pauvre de Samarra, au nord de Bagdad, a fait une seule apparition publique connue, en juillet 2014, à la mosquée al-Nouri de Mossoul, grande ville du nord irakien reprise en juillet 2017.
«Pas brillant» mais «bosseur»
Depuis, il ne s'est plus exprimé que dans des enregistrements sonores, bien loin des cassettes vidéos que Ben Laden diffusait régulièrement, avec mise en scène au combat ou à la mosquée.
Avec son dernier enregistrement, Ibrahim Awad al-Badri, de son vrai nom, était sorti en août 2018 d'un an de silence. Huit mois après que l'Irak eut déclaré la «victoire» sur l'EI, il y exhortait ses partisans à poursuivre le «jihad».
Plus récemment, alors que les forces antijihadistes en Syrie donnaient le coup de grâce au «califat», plusieurs personnes évacuées de Baghouz ont assuré à l'AFP avoir reçu l'ordre de Baghdadi de quitter le réduit. Mais sans fournir davantage de détails.
Un temps, ce passionné de football au destin d'avocat ou de militaire contrarié par des résultats scolaires insuffisants et une mauvaise vue, a été imam à Bagdad.
Prêchant dans une mosquée peu fréquentée de l'Irak alors sous la dictature de Saddam Hussein, il a développé «une vision assez claire de là où il voulait aller et de l'organisation qu'il voulait créer», explique la journaliste Sofia Amara.
«C'est un planificateur secret», explique celle qui a réalisé un documentaire sur Baghdadi. Et, s'il «donne l'impression d'un homme pas brillant», il est «patient et
«Université du jihad»
Après avoir créé lors de l'invasion américaine de 2003 un groupuscule jihadiste sans grand rayonnement, ce père de cinq enfants issus de deux mariages, est arrêté en février 2004 et emprisonné à Bucca.
Cette immense prison installée par les Américains à l'extrême sud de l'Irak, où se côtoient dignitaires déchus du régime de Saddam Hussein et nébuleuse jihadiste, sera surnommée «l'université du jihad».
Là, peu à peu, «tout le monde s'est rendu compte que ce type timide était un fin stratège» capable de rallier ces deux composantes, affirme Sofia Amara. Dix ans plus tard, l'armée irakienne réalisera qu'elle a face à elle ses ex-commandants, de l'époque de l'ancien régime, passés à l'EI.
Libéré en décembre 2004 faute de preuves, il fait allégeance à Abou Moussaab al-Zarqaoui, sous tutelle d'Al-Qaïda, puis devient l'homme de confiance de son successeur Abou Omar al-Baghdadi.
Il prendra sa relève en 2010 sous le nom d'Abou Bakr al-Baghdadi, en référence au premier calife successeur du prophète Mahomet.
Rebaptisée «Etat islamique», son organisation supplante alors Al-Qaïda, ses succès militaires et sa propagande soigneusement réalisée attirant des milliers de partisans autour du globe.
Jusqu'à ce jour, son groupe ultraradical continue de revendiquer, plus ou moins opportunément, des attaques partout dans le monde.