Les manifestations massives en Algérie ne sont pas sans rappeler les débuts des soulèvements arabes en 2011. Mais dans ce pays ayant déjà vécu une brève expérience démocratique, c'est une renaissance politique qui s'esquisse plutôt qu'un «Printemps algérien» en retard, estiment des chercheurs.
Le vent de liberté qui souffle sur Alger ravive à Tunis les souvenirs du 14 janvier 2011, quand la population avait envahi la capitale et fait fuir le président Zine el Abidine Ben Ali.
Après une petite manifestation de solidarité à Tunis, empêchée par la police, un collectif rassemblant d'importantes organisations de la société civile tunisienne a salué la volonté des Algériens «d'établir enfin dans leur pays un régime démocratique appuyé sur un Etat de droit».
Mais l'Algérie, où les «Printemps arabes» de 2011 n'ont eu qu'un faible écho, n'en est pas à son premier soulèvement.
«L'Algérie a d'une certaine manière vécu son printemps 15 ans avant tout le monde», souligne à l'AFP le politologue tunisien Hamza Meddeb.
Après de sanglantes émeutes en octobre 1988, une nouvelle Constitution avait autorisé le multipartisme.
«L'expérience de 1988, avec un soulèvement populaire qui pousse le régime à une ouverture démocratique entraînant une victoire des islamistes suivie d'un coup d'Etat, fait écho à l'expérience égyptienne de 2011-2013», selon M. Meddeb.
Le traumatisme de la décennie de violences dans laquelle a sombré l'Algérie entre 1992 et 2002 a participé à limiter l'effet domino des soulèvements de 2011 dans le pays.
Mais ces derniers jours, «une brique du mur de la peur est tombée», estime le politologue algérien Chérif Dris.
«Les Algériens réinvestissent l'espace politique et public», dit-il à l'AFP, alors que les manifestations, interdites à Alger depuis 2001, sont depuis dix jours quasi-quotidiennes.
«Retenue»
D'ampleur exceptionnelle, les manifestations visent directement le président Abdelaziz Bouteflika, du jamais-vu depuis son élection à la tête de l'Etat il y a 20 ans.
«Nous avons espéré qu'à l'image des Egyptiens et des Tunisiens, ceux qui nous gouvernent (...) sacrifieraient leur "chef" pour garder une Nation, quitte à continuer à la malmener, mais pas à la détruire», écrivait lundi la journaliste algérienne Ghania Mouffok.
Depuis les soulèvements qui ont balayé il y a huit ans plusieurs régimes autocratiques réputés inamovibles, seule la Tunisie a poursuivi sur la voie de la démocratisation et plusieurs pays ont sombré dans le chaos.
Les Algériens en sont conscients : «l'Algérie n'est pas la Syrie !», scandent, à l'adresse de leurs dirigeants qui agitent le spectre du chaos syrien, les manifestants qui répètent aussi à l'envi «silmiyya, silmiyya» (pacifique, pacifique).
«Dans les manifestations, guère de mentions d'une nouvelle "révolution", ou de rêve de lendemains qui chantent et cette retenue dans l'enthousiasme est remarquable», écrit l'historienne Malika Rahal sur son blog.
«Dans ces espoirs que l'on veut contenus, possibles, raisonnables et dans la volonté d'éviter les dangers que l'on connaît trop bien, se lit toute une expérience historique», poursuit-elle.
«Force de changement»
Pour M. Meddeb, la principale similitude avec les soulèvements disparates en Libye, en Syrie, au Yémen ou en Egypte, rassemblés sous le terme de «Printemps arabes», est la redécouverte du «peuple comme force de changement», face à «des autoritarismes auxquels ont s'était résignés».
Mais M. Dris souligne que le pouvoir algérien n'est pas despotique comme pouvait l'être celui d'autres autocrates arabes : «c'est de l'autoritarisme hybride, qui marginalise l'opposition sans l'étouffer ni la réprimer systématiquement.»
Pour lui, les manifestations augurent d'une «lame de fond» qui doit encore tracer sa voie, entre craintes de violences et désir de changement.
«Chacun a à coeur de maintenir le caractère pacifique du mouvement», souligne-t-il. «Reste à savoir s'il va continuer et se structurer.»
L'attitude apaisée des forces de l'ordre face aux manifestants tranche avec les répressions exercées ailleurs. «C'est un signe que l'alliance au pouvoir se fissure», estime M. Meddeb.
«Les soulèvements de 2011, s'ils ne sont pas un modèle de comparaison, ont eu des effets sur le mouvement en Algérie», estime la chercheuse allemande Isabelle Werenfels.
«Il y a l'effet positif : il n'y a jusque là pas d'interventionnisme d'acteurs extérieurs, en partie car des leçons ont été tirées, et en partie parce que l'Algérie est si fermée. Et un effet plus négatif : (...) il y a une tendance, particulièrement pour ceux qui regardent de l'extérieur, à voir les dangers plus que les opportunités que représentent ces manifestations.»
Difficile d'anticiper la suite, d'autant que les Algériens sont «tiraillés par le souvenir de leur printemps démocratique raté de 1988-1991 (...), des aspirations de liberté et la conviction que ce mouvement n'échappe pas au "système"», estime Michael Ayari, analyste au centre de réflexion International Crisis Group (ICG).
Cela «dépendra de l'intensification ou de l'affaiblissement des mobilisations dans les différents secteurs de la société, notamment économique».
Pour éviter les violences, il souligne que la rupture réclamée doit «respecter l'ordre constitutionnel et rester tout à la fois substantielle, graduelle et négociée».