Pelin Ünker, une journaliste turque qui avait participé aux révélations des Paradise Papers en novembre 2017, a été condamnée, mardi 8 janvier, à treize mois de prison pour «insulte et diffamation». Elle avait révélé comment l’ancien Premier ministre turc Binali Yildirim et ses deux fils pratiquaient l'optimisation fiscale à l'aide de sociétés enregistrées à Malte.
L'ex-journaliste du quotidien turc d'opposition Cumhuriyet a également été condamnée par un tribunal d'Istanbul à une amende de 8 860 livres turques (environ 1 440 euros). Juste après l'annonce de sa peine, Pelin Ünker a indiqué qu'elle ferait appel, a rapporté le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), à l'origine des Paradise Papers, vaste enquête journalistique internationale sur les paradis fiscaux.
La journaliste turque, travaillant désormais de façon indépendante, a pointé du doigt le fait que la famille Yildirim n'avait pas remis en question la véracité des éléments cités dans ses articles, ses avocats ayant seulement plaidé les dommages à la réputation des trois hommes. «Il n'y a ni offense ni diffamation dans mes articles. Binali Yildirim a reconnu lui-même que ses fils possédaient ces compagnies à Malte. Je ne pense pas que mon enquête soit un crime», a-t-elle déclaré.
Turkish court sentences journalist @pelinunker to 13 months in prison for her #ParadisePapers reporting on the former PM and his sons. https://t.co/FdQIAMj3qi #PressFreedom
— ICIJ (@ICIJorg) 8 janvier 2019
La Turquie dans les bas-fonds du classement de la liberté de la presse
Pour défendre Pelin Ünker, son avocat, Tora Pekin, a rappelé que seule la jeune femme avait été condamnée parmi tous les journalistes auteurs des Paradise Papers (360 reporters dans 70 pays à travers le monde, dont la France). Cela illustre le recul de la liberté d'expression en Turquie, classée 157e pays (sur 180) du baromètre 2018 de la liberté de la presse dans le monde de Reporters sans frontières. Pour l'ONG, la Turquie est même «la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias».
En cause, la répression imposée par le président Recep Tayyip Erdogan, en particulier depuis le coup d'Etat manqué de juillet 2016. Le nombre d'enquêtes lancées pour diffamation envers le leader turc est ainsi passé de 130 en 2014 - année où Erdogan a été élu président - à plus de 6 300 en 2017. Au total, plus de 3 400 personnes (politiciens, sportifs, médecins, artistes, étudiants, policiers) ont été condamnés dans ces affaires, le plus souvent à des amendes.
Binali Yildirim va se présenter aux élections municipales en mars
Ces enquêtes ne concernent pas seulement le chef d'Etat turc, mais également son entourage, comme en témoigne la condamnation de Pelin Ünker. Homme de confiance du président Erdogan, Binali Yildirim est devenu en juillet 2018 président du Parlement, après que le poste de Premier ministre a été supprimé. Pour la journaliste, la décision du tribunal est «à lier aux prochaines élections municipales», en mars prochain. Binali Yildirim va en effet se présenter à la mairie d'Istanbul, sous les couleurs de l'AKP, le parti présidentiel. Il est donc important pour lui dans ce contexte de veiller à garder sa réputation intacte.
Sa plainte envers Pelin Ünker n'est pas sa première offensive contre la presse. En novembre 2018, il a fait condamner un caricaturiste du quotidien d’opposition Evrensel à une amende de 10 000 livres turques (environ 1 500 euros) pour un dessin jugé diffamatoire en raison de son caractère «ridicule et comique».