Les sept moines de Tibhirine assassinés en 1996 en Algérie, durant la guerre civile, seront béatifiés ce samedi 8 décembre à Oran, dans le nord-ouest du pays, en même temps que douze autres religieux catholiques. Une cérémonie historique, puisque c'est la première du genre dans un pays musulman.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les sept frères sont enlevés dans leur monastère de Notre-Dame de l'Atlas à Tibhirine, à 80 km au sud-ouest d'Alger, par une vingtaine d'hommes armés. Ils se savaient en insécurité, à cause de la guerre civile qui secouait le pays durant les années 1990, appelée «décennie noire» (150.000 morts). Mais ils avaient refusé de fuir. Deux moines, Jean-Pierre (il a aujourd'hui 92 ans) et Amédée (décédé en 2008), qui dormaient dans une autre partie du monastère, échappent aux ravisseurs.
Le 23 mai suivant, le Groupe islamique armé (GIA) annonce leur «avoir tranché la gorge» deux jours auparavant. Cette organisation terroriste islamiste explique ce massacre par le refus du gouvernement français de négocier. Son chef, Djamel Zitouni, avait en effet proposé aux autorités de Paris d'échanger les moines, âgés de 45 à 82 ans, contre des membres du GIA faits prisonniers. Les têtes des victimes sont retrouvées par l'armée algérienne le 30 mai sur une route près de Médéa, où se situait le monastère, mais pas les corps.
Entre manipulation et bavure de l'armée
La version officielle algérienne d'un crime islamiste est remise en question quelques années plus tard. En décembre 2002, un ex-cadre des services algériens de renseignement, Abdelkader Tigha, affirme dans les colonnes de Libération que l'enlèvement des religieux a été ordonné par les autorités d'Alger, afin de discréditer les islamistes. En 2004, le parquet de Paris, saisi par les proches des victimes, ouvre une information judiciaire.
L'enquête est relancée en 2009 avec le témoignage du général François Buchwalter, ancien attaché de Défense français à Alger, devant le juge antiterroriste Marc Trévidic. Selon l'officier, les moines ont été tués par des tirs d'hélicoptères militaires algériens, qui avaient ouvert le feu sur ce qui semblait être un bivouac de jihadistes. L'assassinat des sept moines serait donc selon lui une bavure de l'armée algérienne.
Un film sur le destin de ces moines
L'année suivante, en 2010, l'histoire des moines de Tibhirine inspire le film Des hommes et des dieux, du réalisateur français Xavier Beauvois. Le long métrage, dans lequel joue notamment Lambert Wilson, connaît un succès retentissant. Il dépasse les trois millions d'entrées, obtient le Grand Prix du festival de Cannes ainsi que le César du meilleur film de l'année.
Pendant ce temps-là, les investigations françaises se poursuivent, malgré les réticences des autorités d'Alger dans cette affaire. En février 2018, soit au bout de quatorze ans d’enquête judiciaire, le rapport d’autopsie des dépouilles des sept moines de Tibhirine est enfin versé au dossier. Rédigé par les huit experts désignés par les juges antiterroristes, et qui ont analysé les échantillons des crânes des religieux, ce rapport de 185 pages ébranle un peu plus la thèse officielle algérienne qui accuse le GIA.
Des moines décapités post-mortem
D'après lui, «l'hypothèse de décès survenus entre le 25 et le 27 avril», soit bien avant l'annonce officielle de leur mort par l'organisation islamiste, «reste plausible», allant dans le sens d'informations sorties en 2015. De plus, ces experts expliquent que les moines ont été décapités après leur mort. L'hypothèse d'une bavure de l'armée algérienne est en revanche quasiment écartée, car les têtes ne portent pas de traces de balles.
La prochaine étape de l'enquête est prévue pour janvier prochain : la juge d'instruction Nathalie Poux espère pouvoir réunir à ce moment-là les familles des moines pour les informer des avancées des investigations.