La tâche s'annonce rude: la Première ministre britannique Theresa May va s'employer à partir de jeudi à convaincre le Parlement d'accepter le projet d'accord sur le Brexit, qui suscite un grand scepticisme et une mutinerie dans son propre camp.
Le Parti conservateur est très divisé, entre partisans d'un Brexit dur et europhiles. Theresa May a d'ailleurs dû batailler pendant cinq heures mercredi pour obtenir l'aval de son gouvernement au projet d'accord sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, conclu la veille avec Bruxelles.
Elle va présenter le texte lors d'une allocution devant la Chambre des Communes, qui se prononcera en décembre. En cas de vote négatif, elle devra revoir sa copie.
Or, le compromis élaboré à l'issue d'âpres négociations entre Londres et Bruxelles ligue contre lui à la fois des partisans et des opposants du Brexit, qui craignent que le Royaume-Uni reste soumis aux règles de l'UE pendant des années, mais sans qu'il n'ait plus son mot à dire.
La pierre d'achoppement se trouvait en Irlande, où il s'agissait d'éviter une «frontière dure» entre le Nord (province britannique) et le Sud (république indépendante membre de l'UE), afin de préserver l'accord de paix de 1998. Le nouveau texte de près de 600 pages prévoit un «filet de sécurité» au lieu d'une frontière physique sur l'île.
Surtout, même destiné à ne s'appliquer qu'en dernier recours, il prévoit le maintien d'une union douanière entre le Royaume-Uni et l'UE, ainsi qu'un alignement réglementaire plus poussé pour l'Irlande du Nord pendant une période de transition, jusqu'à ce que les discussions sur la future relation commerciale entre les deux parties soient conclues.
Majorité mince
Cette solution permettra de reprendre le contrôle de «notre argent, nos lois et nos frontières, mettra fin à la liberté de mouvement, protégera les emplois, la sécurité et notre union», a affirmé Mme May mercredi soir devant la presse.
Au contraire, «avec cet accord, nous allons rester dans l'union douanière, nous allons rester, de fait, dans le marché unique», a rétorqué un de ses principaux opposants au sein des Tories, Boris Johnson, sur le BBC. L'ex-chef de la diplomatie pro-Brexit a même estimé que cela ferait de leur pays un «Etat vassal» de l'UE.
Jacob Rees-Mogg, leader d'un influent groupe de plusieurs dizaines de députés «Brexiters» tendance dure, a lui aussi appelé ses collègues à rejeter l'accord.
Ce compromis «sape l'intégrité économique et constitutionnelle du Royaume-Uni» en accordant un traitement différent à l'Irlande du Nord, et n'est donc «pas acceptable», a mis en garde Arlene Foster, cheffe du parti nord-irlandais DUP, allié du Parti conservateur de Mme May et force d'appoint indispensable pour disposer d'une majorité absolue au Parlement composé de 650 députés.
Cette dernière est mince, et des députés prévoient qu'elle s'érode encore un peu plus, comme l'expérimenté Peter Bone, selon lequel la Première ministre risque de perdre le soutien de «nombreux députés conservateurs et de millions d'électeurs».
Côté opposition, le patron du Parti travailliste Jeremy Corbyn, qui s'est entretenu avec Mme May mercredi, a indiqué qu'il était contre le texte.
Allocution de Tusk
L'accord suscite la réprobation également chez les anti-Brexit, qui ne peuvent se résoudre à quitter l'Union.
Et l'inégalité de traitement entre les différentes provinces britannique a suscité l'ire de la Première ministre écossaise, l'europhile Nicola Sturgeon, jugeant "dévastateur" pour l'Écosse le projet d'accord, parce qu'il favoriserait l'Irlande du Nord.
Mme May a déjà agité l'épouvantail d'une sortie sans accord, entraînant une catastrophe économique et un chaos juridique. Et brandi la menace d'un «pas de Brexit du tout», destinée aux députés eurosceptiques, mais que certains europhiles ont saisie pour conforter leur demande d'un second référendum, comme le Parti vert et un petit mais croissant nombre de députés conservateurs.
Dans la feuille de route du départ du Royaume-Uni de l'UE, fixé au 29 mars 2019, la prochaine étape est l'organisation d'un sommet exceptionnel des dirigeants européens destiné à valider le compromis, «probablement» le 25 novembre, selon le Premier ministre irlandais Leo Varadkar.
Le président du Conseil européen, Donald Tusk, doit prononcer une allocution jeudi matin à 8h10 (7h10 HMT) à Bruxelles, et pourrait ainsi solennellement convoquer ce sommet, comme il en a le pouvoir.
Le négociateur en chef de l'UE, Michel Barnier, s'était réjoui des «progrès décisifs» dans les négociations sur le Brexit, ouvrant la voie à la finalisation d'un accord et à un «retrait ordonné» du Royaume-Uni de l'UE. Mais le Français l'avait dit : il reste encore «beaucoup, beaucoup de travail». Surtout pour Theresa May.