L'Allemagne commémore vendredi, 80 ans après, la «Nuit de cristal», ces pogroms, meurtres, arrestations et saccages annonciateurs de l'extermination des Juifs, dans un contexte de crainte d'un regain d'antisémitisme.
De nombreuses manifestations sont organisées dans tout le pays à cette occasion, que commémorera Angela Merkel dans un discours dans une synagogue de Berlin, en présence du Conseil central des Juifs d'Allemagne.
Plus de 1.400 lieux de culte incendiés dans toute l'Allemagne, des magasins tenus par des Juifs saccagés et pillés, au moins 91 personnes tuées et des milliers déportées: pour les historiens, ce qui s'est passé en Allemagne et en Autriche les 9 et 10 novembre 1938 marque le passage de la discrimination des juifs à leur persécution puis leur extermination par les nazis.
La propagande affirme alors qu'il s'agit d'une éruption de violence spontanée après le meurtre d'un diplomate à Paris. Mais elle a en réalité été planifiée au plus haut niveau de la hiérarchie nazie.
Contexte trouble
Le signal a été donné par Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, et les destructions exécutées par des SS, SA, Jeunesses hitlériennes. La «Nuit de cristal» ou Nuit du «verre brisé» diffère ainsi des pogroms en Europe de l'est au XIXe siècle.
Cette commémoration, qui se télescope avec le centenaire de l'Armistice de la Première Guerre mondiale et de la fin de l'Empire allemand, intervient dans un contexte trouble en Allemagne.
Il y a tout juste un an entrait au Bundestag une formation d'extrême droite, l'Alternative pour l'Allemagne (AfD). Et en août, la ville de Chemnitz (ex-Allemagne de l'Est) était le théâtre de manifestations et violences xénophobes.
«Aujourd'hui, nous voyons à nouveau la violence dans les rues», s'alarme auprès de l'AFP Felix Klein, commissaire du gouvernement contre l'antisémitisme, qui s'inquiète de la «radicalisation des discours en Allemagne».
Le président français Emmanuel Macron s'est lui dit «frappé» le 31 octobre par la ressemblance entre la situation actuelle en Europe, «divisée par les peurs, le repli nationaliste», et celle des années 1930.
«Regardez comme en cinq ans la situation a évolué en Turquie, au Brésil, aux Etats-Unis, en Syrie et même ici en Allemagne, avec Chemnitz», abonde Uwe Neumärker, directeur de la Fondation en mémoire des Juifs d'Europe assassinés.
Il est un des concepteurs d'une exposition consacrée à la «Nuit de cristal» au musée berlinois Topographie de la Terreur, situé sur l'ancien site de la Gestapo et de la SS.
«En novembre 2018, nous ne sommes pas au bord du précipice d'une autre Nuit de Cristal, mais il est de notre devoir d'empêcher que de telles atrocités ne se reproduisent», met aussi en garde le Congrès juif mondial.
De nombreux Allemands commémorent cette Nuit en polissant ou en déposant des fleurs sur les «Stolpersteine», des milliers de petites plaques de laiton incrustées entre les pavés pour identifier les victimes et leur adresse.
Nouvelle forme d'antisémitisme
En 2017, des plaques avaient été volées, alimentant la crainte d'une résurgence de l'antisémitisme, une réalité infamante pour un pays dont l'identité s'est bâtie sur la repentance pour l'Holocauste.
Une forme d'antisémitisme nouvelle pour l'Allemagne fait en effet régulièrement les gros titres, celui prêté à de nombreux migrants arabo-musulmans qui ont afflué depuis 2015.
Mais l'essor de l'extrême droite allemande a aussi remis au premier plan un antisémitisme national. L'AfD a multiplié les polémiques liées au nazisme, jugeant en particulier que l'Allemagne devait cesser son repentir pour l'extermination des juifs. Des militants d'extrême droite voulaient manifester vendredi à Berlin mais le rassemblement a été interdit.
L'inquiétude ne cesse donc de grandir au sein de la communauté juive allemande, forte d'environ 200.000 personnes.
Le nombre de crimes et délits à caractère antisémite est resté néanmoins stable dans les statistiques de police, avec environ 1.400 cas recensés chaque année depuis 2015. Plus de 90% des affaires sont attribuées à l'extrême droite.