Elu le 28 octobre dernier, le nouveau président du Brésil d'extrême-droite, Jair Bolsonaro, est entré en fonction ce mardi 1er janvier. Port d'armes facilité, privatisations, surexploitation de la forêt amazonienne... Que va-t-il désormais se passer ?
Qualifié par ses détracteurs d'homophobe, raciste ou encore misogyne, nostalgique assumé de la dictature militaire ayant dirigé le pays de 1964 à 1985, Jair Bolsonaro a remporté l'élection présidentielle brésilienne face à son adversaire de gauche, Fernando Haddad, du Parti des Travailleurs (PT). Au premier tour, le 7 octobre dernier, le candidat d'extrême-droite était arrivé en tête des suffrages, avec 46 % des voix, contre 29 % pour son rival. Au deuxième tour, il s'est imposé avec 55,70 % des voix.
Libéraliser le port d'armes
Avec sept personnes tuées chaque heure en 2017 pour un total de près de 65 000 homicides sur l'année, le Brésil est le pays d'Amérique latine au taux de criminalité le plus fort. Pour éradiquer la criminalité, Jair Bolsonaro, ancien capitaine dans l'armée brésilienne, souhaite assouplir la législation sur le port d'armes, s'attirant dès lors les bonnes grâces du lobby pro-armes brésilien. «C'est une nécessité à cause de la violence qui frappe le Brésil. Nous sommes en guerre», a-t-il indiqué, ajoutant que le port d'arme devait s'étendre au-delà du domicile
«Nous allons changer la loi. Il faut abaisser l'âge minimum [du port d'armes] de 25 à 21 ans», a-t-il ajouté fin octobre. Quelques semaines auparavant, il avait déclaré : «Si l'un d'entre nous, civil ou soldat est attaqué et s'il tire 20 fois sur l'assaillant, il doit être décoré et non pas aller devant la justice.»
En avril dernier, le membre du Parti Social Libéral (PSL) a mandaté l’un de ses fils, Eduardo, député PSL de Rio de Janeiro, pour présenter un projet de loi permettant à tout citoyen de posséder une arme à feu dans un avion. L'assouplissement de la légalislation sur le port d'armes séduit l'électorat de Bolsonaro, constitué de beaucoup de jeunes blancs des classes aisées.
S'appuyant sur une étude d'un institut économique brésilien (l'Institut de Recherche Économique Appliquée), publiée en 2015, le journal Le Monde prévient que cette mesure serait «désastreuse». D'après l'IPEA, la loi de 2003, qui a mis fin au libre port d'armes au Brésil, «aurait sauvé 121 000 vies sur dix ans, en freinant l'ascension démesurée des homicides».
Par ailleurs, toujours dans l'optique de lutter contre la criminalité, des équipes de tireurs d'élite vont être autorisées à patrouiller dans certains secteurs de Rio de Janeiro et à abattre les criminels les plus dangereux, selon Atlantico. Ces 120 agents de sécurité auront ainsi un véritable «permis de tuer». Une mesure similaire a déjà été appliquée aux Philippines par le président Rodrigo Duterte pour combattre le trafic de drogue.
En revanche, Jair Bolsonaro a indiqué qu'il n'était aucunement question de rétablir la peine de mort. «Non seulement il s’agit d’une clause immuable de la Constitution, mais ça ne fait pas partie de mes promesses de campagne», a-t-il tweeté, après la parution d’une interview de son fils, le député Eduardo Bolsonaro, qui se disait favorable à un référendum sur le retour de la peine capitale.
Privatiser pour réduire la dette
Jair Bolsonaro n'y connaît rien à l'économie, il le reconnaît bien volontiers. Cette partie-là de son programme est donc l'oeuvre de son conseiller économique ultra-libéral Paulo Guedes, un ancien banquier de 69 ans, qui va devenir ministre de l'Economie au 1er janvier. La dette publique du pays constitue la cible de ce dernier. Pour Jair Bolsonaro, elle serait à l’origine «des crises, du chômage, de l’inflation et la misère». Afin de redresser l'économie du pays, englué dans la crise depuis 2014, son conseiller spécial promet de réduire la dette de 20 % à court terme - elle atteint plus de 75 % du PIB aujourd'hui -, en privatisant à tour de bras.
Sur ce dernier point, les idées étatistes, défendues par Jair Bolsonaro lors de ses 27 années de député, s'éloignent un peu de celles de Paulo Guedes. Cette différence d'approche se voit dans les propos de l'ex-candidat. Même s'il prévoit d'engager un vaste programme de privatisations, poursuivant celles entamées sous le mandat du président sortant de centre droit Michel Temer, Jair Bolsonaro a annoncé qu'il ne privatiserait pas le coeur des activités des deux principales compagnies publiques de l'énergie, Petrobras (pétrole et gaz) et Eletrobras (électricité). Le député de 63 ans a même ciblé les investisseurs étrangers de ces secteurs, et notamment la Chine qu'il a accusée «d'acheter le Brésil». Il a également déclaré que «ce qui est stratégique ne peut pas être privatisé», visant en particulier les banques publiques.
Mais pour Lisa Viscidi, du groupe de réflexion The Dialogue, basé aux Etats-Unis et spécialiste de l'Amérique latine, il reste évident que «Bolsonaro va poursuivre une politique générale d'ouverture des secteurs du pétrole et de l'électricité aux investissements privés». Une position floue, mais qui en fait tout de même le chouchou des investisseurs, comparé à son rival de gauche, Fernando Haddad, et sa doctrine beaucoup plus étatique. En effet, ce dernier souhaite au contraire stopper toute nouvelle privatisation et défend une plus grande participation de l'État au capital de Petrobras, plombé par une dette de 70 milliards de réais (16 milliards d'euros). Pour preuve du succès de Bolsonaro auprès des investisseurs, la bourse de Sao Paulo avait bondi de 6 % au lendemain de sa victoire au premier tour.
Exploiter les ressources de la forêt amazonienne, sans considération pour l'environnement
Plutôt que le «poumon vert» de la planète, Jair Bolsonaro voit davantage la forêt amazonienne comme un facteur de développement économique du Brésil. «Bolsonaro estime que les droits environnementaux et les droits humains qui ont été renforcés en faveur des populations indigènes sont une entrave au potentiel économique brésilien et donc selon lui au bien être de la population brésilienne», explique Christophe Ventura, chercheur à l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) spécialiste de l'Amérique latine, sur Atlantico.
Il envisage donc d'autoriser l'implantation de projets industriels, hydrauliques et miniers dans des territoires protégés pour l'instant par la législation et les institutions, au nom de la protection de l'environnement et des populations autochtones. Le 17 décembre dernier, il a ainsi assuré qu'il chercherait à exploiter les ressources naturelles d’une gigantesque réserve indigène dans l’Amazone, à la frontière du Venezuela et de la Guyane. Celle-ci s'étend sur 17 000 km², sur lesquels vivent quelque 17 000 autochtones. Elle est notamment la deuxième plus grande réserve d’uranium au monde. «Il y a moyen de l'exploiter de manière rationnelle. Et du côté des indigènes, de leur verser des redevances et de les intégrer à la société», a déclaré Jair Bolsonaro.
Le 19 octobre, une vingtaine d'ONG, dont Greenpeace et WWF, ont estimé que les propositions du candidat d'extrême-droite représentent une grave menace pour l'environnement et pourraient conduire à faire «exploser» la déforestation. «Bolsonaro aura face à lui une importante résistance émanant de la société civile, d’associations… Des groupes qui ne se laisseront pas faire. Il faudra donc voir qui prend le dessus dans cet "affrontement"», poursuit Christophe Ventura sur le site Atlantico. Il devrait en tout cas avoir l'approbation du Congrès brésilien, car, avec l'arrivée de nouveaux députés militaires, les ultraconservateurs y constituent désormais l’un des principaux groupes parlementaires.
Afin d'avoir les mains libres pour mettre en place de tels projets, l'homme politique d'extrême-droite a également annoncé qu'il souhaitait garder la pleine «souveraineté» sur l'Amazonie. C'est à cette condition que le Brésil restera dans l'Accord de Paris sur le climat de décembre 2015. «Si on m'écrit noir sur blanc» qu'il n'est pas question de «triple A, pas plus que de l'indépendance d'une quelconque terre indienne, je maintiens le Brésil dans l'Accord de Paris», a déclaré Jair Bolsonaro, jeudi 25 octobre, lors d'une conférence de presse à Rio de Janeiro. Le triple A consiste en un projet de couloir écologique transnational allant des Andes à l'océan Atlantique en traversant l'Amazonie. Il prévoit la création d'une vaste zone de protection environnementale reliant parcs naturels, réserves indiennes et espaces naturels de biodiversité.
Muito obrigado, Ronaldinho! É uma honra! 🇧🇷 👍🏻 https://t.co/tyW8XAISKW
— Jair Bolsonaro 1️⃣7️⃣ (@jairbolsonaro) 7 octobre 2018
Fin novembre, Jair Bolsonaro a de nouveau montré son hostilité à l'égard de la préservation de l'environnement, en décidant de renoncer à accueillir la 25e conférence de l'ONU sur le climat, la COP25, dans son pays. «La politique environnementale ne peut pas entraver le développement du Brésil. Nous voulons préserver l’environnement, mais pas de la manière dont cela est fait actuellement», a-t-il déclaré, ajoutant que le secteur agro-alimentaire «suffoquait» sous les réglementations.
Réduire drastiquement l'immigration
Le 10 décembre dernier, alors que le Pacte mondial pour les migrations de l'ONU était adopté à Marrakech (Maroc), le futur chef de la diplomatie brésilienne, Ernesto Araujo, a annoncé sur Twitter que son pays se retirerait de cet accord. Non contraignant, ce texte vise à renforcer la coopération internationale pour une «migration sûre, ordonnée et régulière». Pour le diplomate, ce pacte est «un instrument qui est inadéquat pour affronter le problème». «L’immigration est bienvenue, mais elle ne doit pas être indiscriminée», a-t-il ajouté.
Le président brésilien élu, Jair Bolsonaro, a confirmé cette décision quelques jours plus tard. «Malheureusement, le Brésil, avec le ministre actuel des Affaires étrangères (Aloysio Nunes, ndlr), a signé le pacte. Nous ne sommes pas contre les immigrants, mais nous devons avoir des critères très rigoureux pour entrer au Brésil. Nous allons dénoncer et révoquer ce pacte sur l'immigration», a-t-il dit.
Lors du même discours, l'ex-député a également affirmé qu'il était «insupportable de vivre dans certains endroits en France» à cause des migrants, expliquant qu'il ne «voulait pas de ça pour le Brésil». «Vous savez comment sont ces gens-là, ils ont quelque chose en eux, ils n’abandonnent pas leurs racines et veulent faire valoir leur culture, leurs droits acquis et leurs privilèges», a-t-il poursuivi.
Renouveler les programmes scolaires
Dans les classements du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), référence dans le domaine de la mesure des performances des systèmes éducatifs, le Brésil fait office de mauvais élève parmi les pays développés. Il se classe entre la 59e et la 65e place en mathématiques, sciences et lecture.
Jair Bolsonaro préconise donc de changer le contenu et les méthodes des programmes scolaires, avec «plus de mathématiques, de sciences et de portugais», et ce «sans endoctrinement ni sexualisation précoce». Défenseur des valeurs chrétiennes et de la famille, soutenu par les évangéliques ultraconservateurs, il fait ici référence à son adversaire du second tour, Fernando Haddad. En 2011, alors qu'il était ministre de l'Education, ce dernier avait fait distribuer dans les écoles des manuels contre l'homophobie. En août dernier, Jair Bolsonaro avait affirmé à la télévision que ces manuels étaient des «kits gay», poussant les enfants vers l'homosexualité. Il avait brandi le Guide du zizi sexuel de Titeuf, de l'auteur suisse Zep, qui vise à expliquer la sexualité aux enfants, assurant que ce livre faisait partie de ce kit, alors que ce n'était pas le cas.
En dehors des valeurs chrétiennes, le membre du PSL souhaite mettre en avant dans les programmes scolaires le patriotisme et le nationalisme. Le général Ribeiro Souto, responsable du volet éducation du programme de Jair Bolsonaro, compte mettre en place une «nouvelle bibliographie pour les écoles» pour «enseigner la vérité sur 1964», date du coup d'Etat miliaire qui a instauré la dictature jusqu'en 1985.
«nettoyer le pays» des opposants et des minorités
Dans une vidéo diffusée le 21 octobre, Jair Bolsonaro a promis «d'accélérer le grand nettoyage du pays des marginaux rouges, des hors-la-loi gauchistes». Le natif de Campinas, dans l'Etat de Sao Paulo, vise ses opposants, en particulier l'ancien président de gauche Lula, actuellement incarcéré, et son rival du second tour Fernando Haddad. «Vous allez pourrir ensemble en prison», les a-t-il menacés. Bolsonaro promet même une «purge comme jamais le Brésil n'en a connue».
L'ex-militaire, soutenu par les élites brésiliennes, prévoit également de s'attaquer aux minorités. La «volonté de la majorité» est en effet la seule chose qui compte pour lui. «Il s'agit en fait d'imposer la norme de la majorité aux Indiens, aux homosexuels, aux Noirs, aux militants de gauche, aux minorités et aux oppositions», traduit pour Franceinfo Maud Chirio, historienne spécialiste de l'histoire contemporaine du Brésil et maître de conférences à l'université de Paris-Est Marne-la-Vallée.
Ainsi, Bolsonaro assure qu'«il n’y aura plus d’argent public pour les ONG d’activistes qui défendent les droits de minorités». L'homme politique de 63 ans est également ouvertement homphobe, et donc hostile au mariage gay, un droit sur lequel il pourrait potentiellement revenir. Un éventuel revirement de politique qui pousse des dizaines de couples homosexuels à se passer la bague au doigt avant l'investiture du président d'extrême-droite.
Parmi ses déclarations chocs, «je préfère que l’un de mes fils meurt dans un accident de voiture plutôt que de s’afficher avec une pédale dans la rue», ou encore «je ne vais pas combattre ni même discriminer, mais si je croise deux hommes qui s’embrassent dans la rue, je frapperai». Enfin, Bolsonaro voudrait supprimer les quotas de places réservées aux Brésiliens noirs, ce qui est le cas dans les universités notamment.