Alors que l'enquête sur la mort de Jamal Khashoggi se poursuit, la Turquie accusant les autorités saoudiennes, qui évoquent de leur côté une rixe, Amnesty International a pris les devants de l'affaire en publiant lundi une vidéo à la mémoire du journaliste critique de Riyad.
Et c'est en donnant la parole à ses confrères de la profession que l'ONG a décidé de lui rendre hommage. Première à la prendre, Karen Attiah, l'éditrice des tribunes internationales pour le Washington Post – et donc de Jamal Khashoggi –, raconte ainsi avoir reçu, le jour suivant sa disparition, le dernier article signé de l'éditorialiste, envoyé par son assistant.
This is the last piece by Jamal Khashoggi, which @KarenAttiah received a day after he disappeared. Read by @KarenAttiah, @NickKristof, @HamidMirPAK, @jaketapper, @kshaheen, @NaomiAKlein, @jrezaian, @BDUTT, @Raniaab, @RamiKhouri, @monaeltahawy & @mehdirhasan. #JusticeForJamal pic.twitter.com/HlpocEF3YZ
— AmnestyInternational (@amnesty) 29 octobre 2018
«Nous avons pensé que rendre publique [sa dernière tribune] après sa mort rappellerait au monde son engagement et sa passion pour la liberté dans le monde arabe, et aussi pour un monde meilleur», explique-t-elle, avant de le remercier à titre posthume pour «leur temps passé ensemble» au quotidien américain.
une ode à La libre information
Des journalistes lisent ensuite devant la caméra, en anglais ou en arabe, des extraits de cet article intitulé «Ce dont le monde arabe a le plus besoin, c'est de la liberté d'expression». Parmi eux, Mehdi Hasan, journaliste chez Al Jazeera : «Le monde arabe était porteur d'espoir au printemps 2011. Les journalistes, les universitaires et les populations du monde arabe débordaient d'enthousiasme pour faire naître une société arabe libre et éclairée. Ils s'attendaient à être libérés de l'hégémonie de leurs gouvernements [...] Ces attentes ont rapidement été déçues.»
Nicholas Kristof, journaliste au New York Times, évoque, lui, la main-mise des Etats autoritaires sur la liberté d'expression : «L'opinion publique est sous l'influence du discours officiel imposé par l'Etat, et alors que beaucoup n'y croient pas, une grande partie de la population est prisonnière de ces mensonges.»
Le Pakistanais Hamid Mir et l'Américain Jake Tapper mentionnent de leur côté «l'éminent écrivain saoudien Saleh al-Shehi», qui «a écrit l'une des chroniques les plus célèbres jamais publiées dans la presse saoudienne» et qui «purge actuellement une peine injustifiée de cinq ans de prison pour de prétendus commentaires à l'encontre de l'establishment saoudien».
L'espoir tari du Net
«Il fut un temps où les journalistes pensaient qu'Internet libérerait l'information de la censure et du contrôle liés à la presse écrite. Mais ces gouvernements, dont l'existence même repose sur le contrôle de l'information, ont bloqué Internet de manière agressive», poursuivent Kareem Shaheen, correspondant en Egypte pour The Guardian, et Naomi Klein, essayiste canadienne.
Rania Abouzeid, indépendante qui a notamment publié dans la revue américaine The New Yorker et dans National Geographic, lit ensuite un passage sur une éventuelle solution : «Le monde arabe a besoin d'une version moderne des vieux médias transnationaux, de manière à ce que les citoyens puissent être tenus informés des événements mondiaux.»
Dans la même veine, Mona Eltahawy, qui se présente comme une auteure féministe, évoque la création d'un «forum international indépendant, qui ne serait plus soumis à l'influence des gouvernements nationalistes diffusant une propagande haineuse».
La dernière tribune de Jamal Khashoggi a été publiée en intégralité sur le site du Washington Post, en anglais et en arabe. En France, elle a été traduite dans la langue de Molière par France 24.