Robert Bowers, l’auteur de la tuerie qui a fait onze morts dans une synagogue de Pittsburgh (Pennsylvanie) samedi 27 octobre, était un utilisateur régulier de Gab, un réseau social très prisé de l'extrême-droite américaine.
«Tous bienvenus pour s'exprimer librement.» Telle est la devise du réseau social Gab, créé en août 2016 sur le modèle de Twitter par Andrew Torba. Dans une interview au New York Times donnée en 2016, ce Texan de 27 ans expliquait avoir eu l'idée de créer ce site «après avoir lu des articles affirmant que des employés de Facebook supprimaient du réseau social des articles de médias conservateurs». L'objectif de Gab est ainsi de fédérer tous les défenseurs de la «libre pensée», Andrew Torba se définissant comme un «conservateur républicain chrétien».
Très rapidement, le réseau social est devenu le repaire de l' «alt-right» («alternative right», soit «droite alternative»), un courant d'extrême-droite américain né à la fin des années 2000 qui rejette le conservatisme classique pour promouvoir le nationalisme et la suprématie blanche. Le créateur même du terme «alt-right», Richard Spencer, avait salué l’arrivée de Gab après avoir été suspendu de Twitter pour violation des règles d’utilisation.
Share this everywhere. pic.twitter.com/eNZLjy4z4e
— Gab.com (@getongab) 29 octobre 2018
700 000 utilisateurs, mais peu actifs
D'autres «stars» de l'alt-right sont également présentes sur le site, après être devenues persona non grata sur les réseaux sociaux traditionnels, en premier lieu Twitter et Facebook. C'est par exemple le cas d'Alex Jones, l'animateur complotiste du site InfoWars, de Milo Yiannopoulos, ancien contributeur du site ultraconservateur Breitbart, exclu de Twitter pour avoir dirigé une campagne d’insultes racistes visant l’actrice afro-américaine Leslie Jones, ou encore de Mike Cernovich, blogueur pro-Trump connu pour propager des théories du complot.
En dehors de ces personnalités, Gab a séduit des dizaines de milliers d'anonymes, majoritairement d'extrême-droite. Il revendique environ 700 000 utilisateurs, contre 400 000 en mars dernier. Un chiffre qui le place tout de même très loin des 326 millions d'utilisateurs de Twitter et des 2,2 milliards de Facebook.
De plus, «Gab a parfois des allures de ville fantôme», soulignait en juillet dernier un article publié sur le site du magazine américain spécialisé dans la technologies Wired. En effet, «les messages les plus populaires sur la plateforme ne cumulent qu’une poignée de commentaires et de partages. A l’exception du conspirationniste Alex Jones, les "stars" de Gab n’y sont pas franchement actives», rapporte Le Monde.
En revanche, sur le plan financier, Gab est à l'abri du besoin. Le réseau social a réussi à lever 500 000 dollars en financement participatif il y a un an, à la suite de la manifestation d'extrême-droite de Charlottesville (Virginie), qui avait dégénéré et fait un mort parmi les contre-manifestants. Son chiffre d'affaires s'élevait ainsi en 2017 à près de 100 000 dollars.
Contraint de fermer temporairement
A la suite de la tuerie de Pittsburgh (nord-est des Etats-Unis) de samedi, dont l'auteur postait des messages antisémites sur Gab - dont l'un juste avant l'attaque -, ce n'est pas l'argent qui risque de faire défaut au réseau social, mais les alliés sur le web. Le site avait déjà été exclu du magasin d'applications d'Apple, l'App Store, en décembre 2016, puis de celui de Google, le Google Play Store, en août 2017, pour la présence de discours de haine et une modération des contenus insuffisante. En effet, les propos antisémites et racistes, même s'ils ne sont pas encouragés, y sont largement tolérés.
Message écrit sur Gab par l'auteur de la tuerie de Pittsburgh le jour de l'attaque : «HIAS [une ONG juive de soutien aux réfugiés, ndlr] aime amener des envahisseurs pour tuer les nôtres. Je ne peux pas rester assis et voir les miens se faire massacrer, j'y vais.» (©AP)
Ce lundi 29 octobre, deux jours après la fusillade de Pittsburgh, c'est Joyent, la société qui lui fournissait l'accès à internet, qui a mis fin à ses services. Paypal a également annoncé qu'il excluait Gab de ses services de paiement en ligne en raison des discours de haine colportés sur ce site avec la bienveillance de ses administrateurs. Des annonces qui ont poussé Gab a fermer temporairement.
Mais le réseau social n'a pas peut être pas dit son dernier mot. Dans un communiqué disponible sur la page d'accueil du site, son PDG Andrew Torba a déclaré que les dirigeants du réseau social vont «faire tout leur possible pour faire survivre Gab et défendre la liberté d'expression et la liberté de chaque individu», ajoutant qu'ils «travaillaient 24 heures sur 24 pour remettre en service Gab.com».