Un forum international sur l'investissement, marqué par des désistements en cascade de dirigeants étrangers et chefs d'entreprises, s'est ouvert mardi à Ryad dans la tourmente de l'affaire du journaliste Jamal Khashoggi tué dans le consulat de son pays à Istanbul.
De strictes mesures de sécurité ont été mises en place à l'hôtel Ritz-Carlton, lieu du forum où doivent s'exprimer notamment Kirill Dmitriyev, qui dirige un Fonds d'investissement russe, et Patrick Pouyanné, patron du géant pétrolier français Total, selon une liste d'orateurs fournie par les organisateurs.
Future Investment Initiative (FII), qui dure jusqu'à jeudi, avait pour but de projeter comme une destination commerciale lucrative le royaume pétrolier historiquement fermé et qui cherche à diversifier son économie et s'ouvrir aux nouvelles technologies, au tourisme et au divertissement.
Mais cette conférence est aujourd'hui totalement éclipsée par le tollé international consécutif au meurtre du critique et journaliste saoudien qui collaborait avec le Washington Post.
Après avoir soutenu que Jamal Khashoggi était ressorti vivant du consulat le 2 octobre, l'Arabie saoudite a fini par reconnaître qu'il avait été tué dans sa mission diplomatique, mais nié toute implication du prince héritier Mohammed ben Salmane, considéré comme l'homme fort du royaume.
A la veille du forum, le prince héritier a reçu à Ryad le ministre américain au Trésor Steven Mnuchin, en tournée dans la région mais qui avait renoncé à participer à la conférence après l'affaire Khashoggi.
La présence à la conférence du prince héritier, qui a initié cet évènement, n'a pas été confirmée. L'année dernière, il s'était fait acclamer lors du lancement de la première édition de la conférence, comme un jeune visionnaire, champion d'une Arabie saoudite «ouverte et modérée».
Trump pas satisfait
Néanmoins cette année, l'initiative surnommée le «Davos du désert» par des médias, a vu la liste de ses participants se réduire au fur et à mesure des révélations macabres dans l'affaire Khashoggi qui a terni l'image du royaume, premier exportateur de pétrole au monde.
Outre M. Mnuchin, la patronne du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde, ainsi qu'une vingtaine de PDG de sociétés internationales comme EDF, HSBC, Siemens ou Uber, ont renoncé à faire le déplacement.
De grands médias comme Bloomberg, CNN et le Financial Times se sont également désistés. Mais d'autres ont choisi d'y aller comme le PDG du géant pétrolier Total qui a jugé que la «politique de la chaise vide» ne ferait pas avancer les droits de l'Homme.
Après avoir qualifié la version saoudienne de crédible, le président américain Donald Trump, sous pression aux Etats-Unis pour agir contre l'allié saoudien, a changé de ton dimanche en parlant de «mensonges» saoudiens et lundi en se disant «pas satisfait» des explications de Ryad.
«Nous en saurons très bientôt» davantage, a-t-il dit.
Peut-être dès ce mardi. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a en effet promis de révéler ce jour «toute la vérité» sur l'affaire Khashoggi.
«Toute la vérité»
«Rien ne resterait secret» et les enquêteurs turcs iront «au fond de cette affaire», a affirmé la présidence turque.
Car beaucoup de questions restent sans réponse et de nombreux pays occidentaux ont jugé les explications de Ryad peu convaincantes et exigé des «éclaircissements».
Le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir a affirmé que M. Khashoggi avait été victime d'un «meurtre», évoquant une «opération non-autorisée» par le pouvoir et dont Mohammed ben Salmane n'était «pas informé». Il a aussi dit ignorer où se trouvait son corps.
Mais selon le quotidien progouvernemental turc Yeni Safak, le chef d'un commando saoudien de 15 agents dépêchés à Istanbul pour tuer le journaliste a été directement en contact avec le bureau du prince héritier après «l'assassinat».
Mardi, M. Jubeir a affirmé que des mesures seraient mises en place pour qu'un meurtre comme celui de Jamal Khashoggi «ne puisse plus se reproduire» et a promis une enquête «approfondie et complète».
Avant l'affaire Khashoggi, l'image du prince héritier, à qui le roi Salmane a de facto délégué les affaires courantes du royaume, avait déjà subi un coup dur avec l'arrestation d'hommes d'affaires, de militants des droits de la femme et de dignitaires religieux.
En outre, l'Arabie saoudite, à la tête d'une coalition militaire depuis mars 2015 au Yémen contre les rebelles, a été accusée de multiples «bavures» ayant causé la mort de civils.
L'affaire Khashoggi a aussi relancé le débat sur un réexamen des relations avec Ryad notamment au sujet de la vente d'armes. Berlin a appelé les Européens à suspendre tout nouveau contrat d'armement avec le royaume tant qu'il n'aura pas fait toute la lumière sur la mort de Jamal Khashoggi.