Le Washington Post a publié, mercredi 17 octobre, l'ultime contribution de son collaborateur, le journaliste saoudien disparu Jamal Khashoggi. Il y parlait du manque de liberté de la presse dans le monde arabe.
Il commençait par une triste constatation : «J'ai récemment vu le rapport 'Freedom in the World' 2018 [...] Il n'y a qu'un pays 'libre' dans le monde arabe. C'est la Tunisie», a-t-il expliqué, avant de poursuivre : «De fait, les Arabes qui vivent dans ces pays ne sont pas informés, ou mal informés. Ils sont incapables d'aborder correctement, et encore moins de débattre à propos d'enjeux qui concernent leur région et leur quotidien. Hélas, cette situation ne changera probablement pas», prédit-il.
Une situation qui s'aggrave
L'éditorialiste évoque alors la lueur d'espoir qui est apparue en 2011, pendant le «printemps arabe» : «Journalistes, universitaires, et la population en général, rêvaient de voir une société arabe brillante et libre dans leur pays [...] Ces espoirs ont rapidement été brisés : ces pays ont retrouvé leur bon vieux statut quo, ou ont connu des restrictions encore plus sévères», a-t-il estimé, évoquant l'exemple de son ami, l'éditorialiste saoudien Saleh al-Shehi, condamné à cinq ans de prison pour avoir insulté la cour royale dans un texte.
Pour le journaliste saoudien, qui résidait aux États-Unis, «Les gouvernements arabes ont ainsi pu continuer à réduire les médias au silence, à un rythme encore plus rapide». «A un moment, les journalistes ont cru qu'Internet allait libérer l'information de la censure et du contrôle qu'il y avait sur les journaux imprimés. Mais ces gouvernements, dont toute l'existence dépend du contrôle de l'information, ont bloqué Internet de manière agressive», a-t-il déploré.
Une situation qu'il comparait volontiers aux années 1950 en Europe : «Le monde arabe fait face à sa propre version du rideau de fer, imposé non pas par des acteurs externes mais par des forces nationales se disputant le pouvoir. Pendant la Guerre froide, Radio Free Europe, qui est depuis devenue une institution essentielle, a joué un rôle prépondérant en accueillant, et en maintenant, l'espoir de la liberté». Selon lui, «Les Arabes ont besoin de ce genre de chose».
un éditorial à son image
Et à la fin de cet éditorial, comme s'il savait qu'il s'agissait du dernier, Jamal Khashoggi a remercié le Washington Post d'avoir publié ses écrits en arabe, pour que ceux qui parlent cette langue puissent comprendre.
C'est son traducteur qui a transmis ce texte au journal américain, dès le lendemain de sa disparition après avoir pénétré dans le consulat saoudien d'Istanbul. «Le Post a retardé sa publication, parce que nous espérions que Jamal reviendrait et que nous pourrions l'éditer ensemble», a indiqué l'éditrice, Karen Attiah.
«Maintenant, je dois l'accepter : ça n'arrivera pas. C'est sa dernière contribution. Cette éditorial reflète parfaitement son engagement et sa passion pour la liberté dans le monde arabe. Une liberté pour laquelle il a apparemment donné sa vie».