Adulé dans son pays natal malgré trois inculpations pour viol en France, le chanteur Saad Lamjarred focalise, après «l'affaire Khadija», le débat sur les violences envers les femmes au Maroc.
Une campagne pour bannir ses titres des ondes marocaines, avec les hashtags #masaktach (je ne me tais pas) et #LamjarredOut, a dominé cette semaine les réseaux sociaux, avec un écho viral mais un succès mitigé.
«Le cas de Saad Lamjarred est un symbole qui réunit tout ce que l'on peut qualifier de culture du viol et de l'impunité», explique à l'AFP Laila Slassi, une des initiatrices du mouvement #masaktach.
Visé par trois plaintes, la pop-star de 33 ans qui cumule plus d'un milliard de vues sur YouTube a été inculpée pour viol par la justice française en octobre 2016, en avril 2017 puis à nouveau fin août, ce qui lui a valu de retourner en détention provisoire après plusieurs mois de contrôle judiciaire.
Son immense popularité n'en a visiblement guère pâti : la sortie de ses derniers tubes a été saluée par des médias marocains, ses titres tournaient en boucle sur les radios encore récemment et en août, il figurait en bonne place dans un clip d'artistes diffusé pour l'anniversaire du roi Mohammed VI - qui a participé à ses frais d'avocats.
Ses fans restent persuadés que le chanteur est victime d'un complot et/ou que ses présumées victimes cherchent à tirer profit de sa notoriété.
«Présomption d'innocence»
«Il est célèbre, beau gosse, on le soutient... c'est un cas emblématique de la sympathie que soulève l'agresseur dans une société où l'on trouve toujours des excuses aux hommes», décrypte la sociologue Sanaa El Aji, jointe par l'AFP.
Mais pour Laila Slassi, «la célébrité suppose l'exemplarité et c'est la responsabilité des médias de ne pas promouvoir un homme accusé de violences sexuelles».
Sous pression, la radio musicale publique «Radio 2M» a fait savoir par tweet officiel «qu'elle ne fait plus la promotion de Saad Lamjarred depuis que l'affaire est aux mains de la justice».
La position de Hit Radio, la station musicale la plus écoutée au Maroc, est moins tranchée : son patron Younes Boumehdi a annoncé que ses chansons ne seraient plus diffusées «le temps que les esprits se calment». Un sondage mené à l'antenne a montré qu'une large majorité des auditeurs voulaient entendre leur idole.
Ultra-célèbre dans le monde arabe, le chanteur «est toujours dans le top du baromètre Youtube, pour beaucoup de ses fans il restera une icône, même s'il est condamné», assure M. Boumehdi.
L'affaire a suscité «beaucoup d'émotion parce que Saad Lamjarred a une image d'homme moderne et porte un message nouveau, disruptif», a-t-il dit à l'AFP.
Tous ne partagent pas ce point de vue.
«Les paroles de ses chansons glorifient la domination du mâle dans le couple (…) et la soumission de la femme», s'insurge Mehdi Alami, un chef d'entreprise, dans une tribune de presse abondamment reprise sur les médias sociaux.
Il est «en quelque sorte la quintessence du clinquant, du 'beldoche', du mauvais goût, de la sous-culture de notre pays», critique-t-il.
Pour sa part, la radio Chada FM a fait savoir qu'elle ne déprogrammerait pas Saad Lamjarred «tant qu’il n’aura pas été jugé, au nom de la présomption d'innocence».
«Première coupable»
«Ca revient à décrédibiliser la parole des femmes», fulmine Betty Lachgar, une militante féministe très remontée contre la «culture patriarcale» et la «misogynie» de ses compatriotes.
Fin août, cette quadragénaire a passé 48 heures en garde à vue dans un commissariat de Rabat où elle insistait pour déposer plainte contre des jeunes l'ayant menacée devant chez elle, une démarche qui lui a valu des poursuites pour «état d'ébriété».
Comme Betty Lachgar, beaucoup comparent la campagne #masaktach au mouvement mondial #metoo contre le harcèlement sexuel. Mais au Maroc, «la majorité ne s'inscrit pas dans cette ligne : ce sont les harceleurs qui sont vus comme des victimes», nuance Sanaa El Aji.
Selon Laila Slassi, le mouvement #masaktach «puise avant tout ses racines dans l'affaire Khadija».
En août dernier, cette adolescente de 17 ans a suscité autant de compassion que de dénigrement dans le pays après avoir accusé de viol collectif des hommes de son village.
Ses agresseurs présumés sont pourtant passés aux aveux, reconnaissant notamment l'avoir séquestrée et violée, selon ses avocats.
«Mais pour beaucoup, elle reste la première coupable», s'indigne Laila Slassi.