L'échec des pourparlers de paix sur le Yémen à Genève traduit le profond degré de méfiance entre les belligérants et fait craindre une nouvelle escalade militaire, estiment des analystes.
Samedi, des consultations très attendues sous l'égide de l'ONU --les premières depuis plus de deux ans-- ont échoué avant même d'avoir commencé : après avoir posé des conditions à leur présence, les rebelles Houthis n'ont finalement pas fait le déplacement.
Les pourparlers autour de ce conflit à l'origine de «la pire crise humanitaire» au monde selon les Nations unies devaient initialement s'ouvrir jeudi.
Quelques heures après l'annonce de cet échec cuisant par le médiateur onusien Martin Griffiths, le chef des rebelles Abdel Malek al-Houthi a appelé ses partisans à la «résistance face à l'agression» du gouvernement yéménite soutenu par une coalition militaire sous commandement saoudien.
Sommant les Yéménites d'«aller aujourd'hui sur tous les fronts», M. Houthi leur a demandé de renforcer «la défense, la sécurité» et de «recruter (...) des volontaires sur le terrain», selon un discours retransmis samedi soir par la chaîne de télévision rebelle Al-Massirah.
Les Houthis, qui contrôlent de vastes régions de l'ouest et du nord dont la capitale Sanaa, sont soutenus par l'Iran.
Le processus de paix que M. Griffiths cherchait à relancer depuis des mois a été sérieusement compromis et les armes pourraient prendre le relais, estime Aleksandar Mitreski, chercheur sur le conflit yéménite à l'Université de Sydney.
«Comme il n'y a pas de processus de paix à respecter, les belligérants n'auront pas de contraintes (...) sur le terrain», prévient-il.
L'échec des pourparlers risque aussi de «renforcer la conviction de la coalition que seules des pertes sur le terrain pousseront les Houthis au compromis», souligne Graham Griffith, analyste pour le cabinet de conseil Control Risks, basé aux Emirats arabes unis.
«Déséquilibre des forces»
Si elles avaient eu lieu, les discussions de Genève auraient été les premières entre le gouvernement yéménite et les Houthis depuis celles qui avaient duré plusieurs mois au Koweït en 2016.
Celles-ci avaient buté sur le retrait des rebelles de villes clés, comme Sanaa, et le partage du pouvoir. La délégation des Houthis avait ensuite été bloquée trois mois à Oman en raison du blocus aérien imposé par Ryad au Yémen. Ce précédent a suscité les craintes des rebelles ces derniers jours.
Jeudi, les Houthis avaient exigé leur transport dans un avion omanais, le transfèrement de blessés vers Mascate et la garantie de pouvoir rentrer à Sanaa.
«Le manque de confiance» et «le déséquilibre des forces sur le terrain» mettent à mal toute tentative de règlement politique, estime M. Mitreski.
Signe du fossé séparant le gouvernement et les rebelles, aucun face-à-face n'était de toute manière prévu à Genève.
Troisième envoyé spécial de l'ONU sur le Yémen depuis le début du conflit en 2014, Martin Griffiths s'est montré extrêmement prudent pour la suite.
«Il est trop tôt pour dire quand se tiendront les prochaines consultations», a-t-il déclaré, alors que la délégation gouvernementale lui reprochait de ne pas avoir fait suffisamment «pression» sur les Houthis.
Pour M. Mitreski, «l'ONU n'a malheureusement pas la capacité d'être le médiateur» dans ce conflit qui a fait quelque 10.000 morts, en majorité des civils.
Moins sombre, l'analyste Graham Griffith considère qu'«il reste une petite chance que l'émissaire de l'ONU puisse sauver quelque chose».
«Les opérations militaires seront probablement freinées par le fait que la conduite de la coalition sera sous une surveillance accrue» au niveau international, explique-t-il.
Hodeida en ligne de mire
«La seule préoccupation de la coalition menée par l'Arabie saoudite reste de gérer la réaction de la communauté internationale», renchérit M. Mitreski, alors que l'ONU a alerté sur le sort de huit millions de civils menacés par la famine.
Vendredi, alors que l'absence des Houthis laissait présager l'issue infructueuse des négociations, des affrontements ont éclaté près de la ville portuaire de Hodeida (ouest).
Tenue par les rebelles depuis octobre 2014, Hodeida est hautement stratégique, son port servant de point de transit de 70% des importations au Yémen.
Selon plusieurs sources militaires, la coalition sous commandement saoudien a progressé d'environ 16 kilomètres le long de la route côtière du district d'Al-Douraïhimi, au sud de la ville.
«Les deux prochains mois seront peut-être cruciaux concernant la lutte pour le contrôle de Hodeida. L'opération militaire (...) pourrait se poursuivre», dit M. Mitreski.